A l’heure où la nouvelle loi d’orientation de l’école se fixe pour objectif 50 % de diplômés du supérieur, vous alertez, dans un petit livre quelque peu politiquement incorrect, les effets néfastes de cette « inflation scolaire ». L’idée de donner plus d’éducation au plus grand nombre possible correspond pourtant à un bel idéal…
Ce problème de l’inflation des diplômés n’est pas nouveau. Il y a vingt ans que les études du Céreq, par exemple, soulignent le déclassement qu’elle entraîne. Et pourtant cet article annexé à la loi n’a même pas été discuté, d’où ma réaction par la publication de ce livre.
Par ailleurs, mon expérience d’enseignante-chercheuse montre que nombre de jeunes ne viennent pas à l’université pour se cultiver davantage, mais pour acquérir un diplôme et se placer sur le marché du travail.
Les manifestations de l’hiver 2006 contre le CPE ont souligné surtout une extrême angoisse des jeunes ; les étudiants des classes préparatoires ou de médecine, dont l’avenir est assuré, n’étaient d’ailleurs pas dans la rue. Beaucoup de formations universitaires ne mènent qu’à des concours de l’enseignement : or le taux de réussite au Capes va de 5 à 20 % selon les filières. Que font les 80 % restants ? Beaucoup d’entre eux, dans les filières lettres et sciences humaines par exemple, deviennent employés avec un bac + 4 ou + 5… Et petits boulots ou stages sont monnaie courante. Une récente étude (1) montre que les étudiants de Staps, qui visent tous les métiers du sport, s’insèrent assez bien, mais souvent dans des métiers sans rapport avec le sport ou comme vendeurs chez Décathlon…
La représentation de jeunes étudiants, intellectuels en formation, avides de savoir est un idéal romantique qui ne correspond guère à la réalité ! Beaucoup de jeunes aujourd’hui sont étudiants malgré eux : ce qu’ils veulent, c’est du travail ! C’est plutôt pour des raisons utilitaristes que la plupart viennent à l’université. Et ce constat est international (2).
Mais les études montrent aussi que les diplômes protègent du chômage…
C’est vrai au niveau individuel. Si je suis un étudiant raisonnable, j’irai le plus loin possible… Mais est-ce souhaitable au niveau de la société ? Un martien qui débarquerait dans notre pays ne pourrait effectivement que constater qu’un bac + 3 permet une meilleure insertion qu’un bac + 2. Mais il pourrait aussi se dire que si le bac + 3 avait un bac + 2, le bac + 2 un bac + 1, le bac + 1 un simple bac, tout le monde s’insérerait aussi bien. Ce qui joue, c’est la place du diplô- mé dans la file d’attente. Et l’on peut dé- placer le curseur sans fin, on constatera toujours qu’un bac + 10 s’insère mieux qu’un bac + 8…
Il faut donc se poser la question du rendement de cette inflation de diplômes au niveau macrosocial. Certains comportements, rationnels au niveau des individus, deviennent pervers au niveau de la société. C’est ce qu’avait montré le sociologue Raymond Boudon (3) : dans un embouteillage, chaque individu a de bonnes raisons de prendre sa voiture mais, globalement, l’effet est catastrophique, tout le monde se retrouvant bloqué. Personne ne souhaite la dévalorisation des diplômes que l’on constate actuellement, mais elle frappe tout le monde et incite les jeunes à aller encore plus loin : c’est une dynamique perverse.