En quoi consiste la finance islamique ?

Quand les pétrodollars rejoignent les préoccupations éthiques… Basée sur l’interdit de l’intérêt, la finance islamique connaît une forte croissance autour du Golfe persique et en Malaisie.

La finance islamique est un phénomène récent, né au tournant de la « guerre froide arabe »  1. Cette dernière oppose dans les années 1950-1970 les sécularistes, sous l’autorité de Gamal Adbel Nasser (1918-1970), et des baassistes syriens, aux courants politico-religieux incarnés notamment par le roi Fayçal d’Arabie Saoudite (1906-1975). Plusieurs monarchies traditionnelles sont alors renversées : en Égypte (1952), en Irak (1958), ainsi qu’au Yémen (1962). Le souverain saoudien développe une contre-idéologie en en appelant à l’islam. L’idée de fonder un système économique selon ses préceptes existait toutefois depuis les années 1940, à travers les écrits du théologien indo-pakistanais Sayyid Abul Ala Maududi (1903-1979), puis de certains Frères musulmans  2. Ainsi Fayçal oppose-t-il sur la scène internationale la solidarité « panislamique » au « panarabisme » de Nasser. Si un apaisement intervient entre régimes sécularistes et monarchies suite à la guerre des Six Jours (1967), avec l’affirmation d’un front commun contre Israël, l’ambition d’invoquer politiquement le référent religieux perdure. En témoigne l’établissement en 1975 d’une institution multilatérale entre pays musulmans : la Banque islamique de développement (BID), basée à Jeddah (Arabie Saoudite).

 

Le pragmatisme des débuts

Prolongeant cette première création d’institutions commerciales de ce type, la Dubaï Islamic Bank est également fondée en 1975, suite à l’initiative personnelle d’un homme d’affaires de l’émirat. Cette période voit l’établissement des futurs principaux groupes bancaires de ce domaine : Faisal Islamic Bank et Al Baraka. D’autres reçoivent le soutien direct des gouvernements du Golfe ou des familles régnantes, actionnaires de Kuwait Finance House (créée en 1977), de Bahrein Islamic Bank (1979) et de Qatar Islamic Bank (1983). Pour l’essentiel, les banques islamiques préserveront une distance avec tout courant politico-religieux, et s’attelleront principalement à être viables  3.

En ce sens, la décennie de « l’âge d’or » du boom pétrolier (1973-1982) prend place dans un contexte dépourvu essentiellement d’infrastructures bancaires et financières, de compétences humaines techniques et de cadre légal adapté. En d’autres termes, les banques islamiques, créées durant cette période, doivent se comprendre comme le reflet de cet environnement incertain, où les pétrodollars commencent à affluer sans que des structures pour les gérer soient en place. Évoquant son implication à un moment où de tels établissements n’existaient pas, le Dubaïote Sayyid bin Ahmed al-Lootah, fondateur de la Dubaï Islamic Bank, estime que les religieux musulmans ne connaissaient rien à la banque ou à l’économie. Il ajoute que les banquiers, quant à eux, étaient dans une ignorance complète en matière de religion. Ainsi avoue-t-il avoir commencé seul, mêlant son expérience de commerçant à sa piété personnelle  4.

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Les opérations menées par ces institutions du Golfe consistaient essentiellement en lettres de crédit et lettres de garantie pour des biens d’importation, et l’achat-vente de matières premières. Les banques islamiques se sont donc initialement concentrées sur le financement du commerce. La compréhension de ce que devait représenter une institution créant de la monnaie en conformité à l’islam n’était donc pas du domaine de l’évidence. La pratique canonisée du recours à des shariah boards, ces conseils de juristes de droit islamique (fiqh) pour évaluer chaque transaction financière, est ultérieure à la première banque se réclamant de cette religion.