Enseigner la morale et le civisme

Comment enseigner l’éducation morale et civique ? Les attentats terroristes de 2015, puis l’assassinat de Samuel Paty en 2020, justifient plus que jamais cette question. En quoi consiste cette discipline ? Depuis quand l’enseigne-t-on ? Est-elle suffisante pour faire de tous les élèves des citoyens républicains et éclairés ?

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Qu’est-ce que l’éducation morale et civique ?

Aujourd’hui, l’enseignement de l’éducation morale et civique (EMC) s’appuie sur la loi « pour la refondation de l’école de la République » de 2013, portée par Vincent Peillon. C’est l’aboutissement de réflexions menées depuis les années 2000 par différents intellectuels (Guy Coq, Jean Baubérot, Laurence Loeffel, Alain Bergougnioux, Jean-Paul Delahaye), appelant à un renouveau de la morale à l’école pour répondre au délitement des valeurs rassembleuses dans la société, menace à son bon fonctionnement. Cette loi entend instituer l’EMC comme discipline à part entière, du CE2 au baccalauréat, et étend son enseignement à toutes les filières (générales, techniques, CAP). L’EMC doit « développer le sens moral et l’esprit critique et permettre à l’élève d’apprendre à adopter un comportement réfléchi », tout en préparant à « l’exercice de la citoyenneté », à travers un socle de valeurs communes.

EMC et pédagogie spécifique

Effectif à la rentrée 2015, le nouveau programme est présenté comme une réponse aux attentats terroristes de janvier 2015 contre Charlie Hebdo. Pour l’élémentaire et le collège, les programmes d’EMC s’articulent autour de quatre dimensions : la sensibilité, le droit et les règles, le jugement, l’engagement. En 2018, les programmes scolaires ont été légèrement réécrits. Le ministère a parlé « d’ajustement et de clarification » par le Conseil supérieur des programmes (CSP), ce qui a conduit à un resserrement de l’EMC autour de trois piliers : respecter autrui, partager les valeurs de la République et construire la culture civique. Ces modifications ont été vécues par certains enseignants comme une accentuation de la dimension civique, au détriment des questions morales (dilemmes, construction du jugement, etc.). Au lycée, le programme d’EMC s’articule autour de trois thèmes déroulés sur les trois années : liberté (liberté et droits, laïcité, tolérance et respect), société (l’intérêt général et particulier, l’engagement, égalité et équité), démocratie (république et monarchie, autoritarisme, représentation politique).

Au collège, les heures d’EMC doivent être dispensées par les enseignants d’histoire-géographie, alors qu’au lycée, chaque établissement décide à qui confier cette mission. Dans les faits, ce sont essentiellement les enseignants d’histoire-géographie qui s’en chargent. Sur le fond, l’association de l’histoire-géographie et de l’EMC comporte le risque d’une confusion dans le cas où l’EMC s’appuierait sur le programme d’histoire : « Le raisonnement historique et la mise en récit du passé ne peuvent sans doute s’affranchir de toute orientation axiologique, mais le jugement moral n’est pas le lieu du travail de l’historien, qui cherche à établir des faits et à les expliquer de manière aussi objective que possible », pointe la philosophe de l’éducation Anne-Claire Husser. D’où la nécessité, pour les enseignants, de faire l’effort d’aborder distinctement les deux matières.

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Dans tous les cas, et en particulier pour le premier degré, les programmes insistent sur l’importance d’associer l’EMC à une pédagogie spécifique : partir de situations concrètes, mettre en œuvre des projets, organiser des débats réglés, utiliser des situations de coopération et de mutualisation, etc.

  • « L’enseignement moral et civique dans les établissements scolaires français, une transversalité consistante ? »
    Anne-Claire Husser, Éthique en éducation et en formation, n° 4, 2017.

L’EMC a-t-elle toujours existé dans l’école française ?

En France, la nécessité d’enseigner le civisme à l’école prend ses racines dans la philosophie des Lumières et se concrétise par la création d’une discipline scolaire en tant que telle sous la IIIe République. La loi du 22 mars 1882, promulguée par Jules Ferry, institue l’« instruction morale et civique » en même temps que l’obligation scolaire. La circulaire de 1883 remplace l'ancienne « instruction morale et religieuse » par l’enseignement des valeurs républicaines : patriotisme, ordre social, suffrage universel, devoirs du citoyen. Les instituteurs en deviennent les porte-voix. Une réponse à la peur des troubles sociaux, héritée notamment de la Commune, et à la perte d’influence de l’Église, qui inquiète la bourgeoisie, croyante ou non.

Entre 1882 et 1941, la discipline reste dans cet esprit républicain, avec des modifications à la marge : en 1923, par exemple, elle disparaît du cours moyen et élémentaire pour viser les niveaux supérieurs.