Entrer dans le récit

Raconter (et se raconter) ne s’improvise pas, mais s’apprend au cours de l’enfance. Cet apprentissage est indispensable pour penser, relier et s’inventer en tant que sujet.

Jean Piaget, en 1925, s’intéresse à la manière dont des enfants de 4 à 12 ans parviennent à construire un récit à partir d’un couple d’images : « Regarde bien ces deux images. C’est la même histoire. La première, c’est le commencement de l’histoire. L’autre, c’est la fin de l’histoire. Regarde bien et raconte-moi toute l’histoire. » Les enfants soumis à ce test rencontrent de grandes difficultés à relier les deux images. Pourtant, les mêmes personnages y figurent de façon très explicite et les liens possibles entre les deux situations faciles à imaginer… Jusqu’à 8 ans, trois quarts des enfants ne sont pas capables – bien qu’on leur dise que les deux images représentent une même histoire – d’identifier les personnages communs, au dessin pourtant très caractéristique. C’est au-delà de 8 ans que les enfants repèrent progressivement la possibilité d’une relation, ce qui amène J. Piaget à conclure que « la difficulté à identifier les personnages correspondants d’une série d’images n’est que le cas particulier d’une difficulté très générale chez l’enfant et que l’on peut appeler la difficulté à faire interférer les groupements logiques ».

Certes, les enfants d’aujourd’hui ne sont plus ceux de 1925 et sont baignés très tôt dans un flux d’images animées qui, fort probablement, faciliterait leur réussite au test de J. Piaget. Certes, le protocole piagétien neutralise volontairement toute intervention pédagogique facilitatrice. Mais, pour autant, l’expérience de J. Piaget reste relativement d’actualité : elle a le mérite de montrer que le fait de « faire interférer », « mettre en relation », « inventer pour relier » n’est pas une attitude spontanée, qu’elles sont difficiles à acquérir et doivent donc faire l’objet d’une formation !