Entretien avec Vincent Descombes : «je» n'est qu'un mot

De quoi parlons-nous quand nous disons « je » ? 
À quel âge devient-on un individu ? Pourquoi veut-on toujours se distinguer 
des autres ? En partant de questions élémentaires, le philosophe Vincent Descombes s’attache à démystifier les fausses évidences sur l’individualité.

Dur métier que celui de philosophe : « Il faut accepter de tourner en rond aussi longtemps que nécessaire, mais sans changer de sujet. » La phrase est extraite du dernier livre de Vincent Descombes, Exercices d’humanité, recueil d’entretiens avec Philippe de Lara (Les Petits Platons, 2013). Ce penseur atypique y retrace son parcours et donne à voir l’originalité de sa démarche. Ancien élève de Paul Ricœur et de Jacques Derrida, il a rencontré la philosophie analytique lors de séjours d’études aux États-Unis. Elle l’a conquis. De Ludwig Wittgenstein, il a fait son maître. Tout son métier, tel qu’il le conçoit, consiste à « désembrouiller » les idées toutes faites, à la fois par une analyse méthodique du langage et par l’étude de cas ordinaires. En ce sens, il se démarque radicalement des philosophes français de sa génération, biberonnés à Karl Marx et à Jean-Paul Sartre. Chez lui, nulle emphase ni surenchère conceptuelle. Pas besoin non plus de préliminaires ; toute la force de sa méthode consiste à rentrer directement dans les problèmes.

Depuis une dizaine d’années, il s’attache à comprendre le sujet contemporain. De quoi parlons-nous quand nous disons « moi » ? Qu’est-ce qu’agir par soi-même ? Puis-je répondre à la question : « Qui suis-je ? » Il en a tiré des livres éclairants, comme Le Complément du sujet (2004) ou Les Embarras de l’identité (2013). Selon lui, on ne peut penser rigoureusement ces questions qu’en ciselant les définitions, ce à quoi il s’attelle tel un artisan du verbe. Il invite au passage à se méfier de « soi », entité somme toute mystérieuse… et peut-être inconsistante.

V. Descombes nous a reçus dans son petit bureau, à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il y anime un séminaire sur les « Pensées à la première personne », sa façon à lui de questionner la conscience de soi. En ligne de mire se devine une philosophie de l’action : sait-on toujours bien ce que l’on fait et pourquoi ? En attendant son prochain livre sur ce thème, il a répondu à nos questions, avec vigueur et précision.

Le je, le moi, le sujet, l’individu…, ces notions sont souvent amalgamées dans le discours commun. Se recouvrent-elles ?