Etats-Unis : la résurrection de la droite chrétienne

La droite chrétienne aux États-Unis, alliée aussi précieuse qu’encombrante de la droite conservatrice, virulente dans la guerre d’opinion qu’elle mène pour instaurer une société à caractère théocratique, a trouvé un écho limité auprès des cercles du pouvoir si ce n’est sur un point : sa vision messianique de l’Amérique qui a influencé la politique étrangère du président Bush.

Avec les néoconservateurs, la droite chrétienne fut l’autre soutien déterminant pour les deux élections de George W. Bush en 2000 et en 2004. Pourtant, le retour en force de la droite religieuse aux États-Unis ne date pas d’hier. Cette résurrection a commencé par un exode dès le début des années 1970. Bousculé par l’arrivée en masse de défenseurs de la laïcité au sein du parti démocrate, l’électorat traditionnel des États du Sud, évangéliste et conservateur, a abandonné son soutien. Une partie s’est alors tournée vers les républicains qui cherchaient à élargir leur assise électorale. En 1980, Ronald Reagan a largement bénéficié de ce ralliement consacrant le retour sur l’échiquier politique de cet allié décisif mais également pressant et encombrant.
« La droite chrétienne a retenu les leçons du mouvement pour les droits civiques et de l’ensemble des mouvements sociaux réussis de l’Amérique du xxe siècle », observe Hans-Georg Betz (1), politologue américain spécialiste des droites aux États-Unis. Jouant la carte de la minorité culturelle, elle a lancé des campagnes de confrontation et trouvé un soutien devant le tribunal de l’opinion publique. Elle maîtrise les nouvelles technologies de communication et de marketing, a recours aux alliances avec les clubs de réflexion (les think tanks), aux grandes marches, au lobbying ou aux campagnes de dénigrement pour faire passer ses idées et faire pression. De plus en plus, elle lance des actions en justice comme complément de son activisme politique. Les grands partis américains ont dû prendre acte de son existence, adapté leurs discours et multiplié les contacts avec ses représentants.

Le terme droite chrétienne regroupe en fait une myriade de groupes et d’associations. Parmi les plus connus, on trouve la défunte Majorité morale fondée en 1979 par le télévangéliste Jerry Falwell et dissoute en 1989, la Coalition chrétienne (Christian Coalition) de Pat Robertson, candidat républicain malheureux face à George H. Bush aux primaires de l’élection présidentielle de 1988, Focus on the Family de James Dobson ou encore le mouvement des Promise Keepers qui rassemble des hommes qui veulent restaurer le patriarcat.Cette coalition conservatrice religieuse prône l’avènement d’une société à caractère théocratique, revendique la possibilité d’enseigner le créationnisme à l’école, est opposée à la légalisation de l’avortement, au militantisme féministe, au mariage homosexuel, à la pornographie. Mais à la différence des intégrismes chrétiens de l’Europe, volontiers antisémites et traditionalistes, elle exprime un engagement de rupture plus ouvert et, surtout, soutient de façon très active l’État d’Israël. Ce soutien inattendu provient de deux sources : d’une part, la croyance que le rétablissement de la Terre promise par Dieu à Abraham peut hâter le retour du Christ sur terre, conformément au message biblique de l’Apocalypse ; d’autre part, la désignation de l’islam comme nouvel ennemi à combattre après la chute du communisme soviétique. Sur les questions de politique intérieure, la droite chrétienne a éprouvé des difficultés à atteindre ses objectifs. En revanche, elle a certainement joué un rôle dans la conversion de George W. Bush de l’isolationnisme républicain à la vision wilsonienne d’une Amérique investie d’une mission pour le monde.Or c’est en matière de politique étrangère, particulièrement sur la question du Moyen-Orient, que la droite chrétienne conservatrice a pu tisser avec les néoconservateurs, pourtant majoritairement laïcs, une alliance aussi forte qu’ambiguë. Bien que d’origine opposée (gauche radicale pour les néoconservateurs, conservatisme religieux pour la droite chrétienne), les deux mouvements se sont rejoints sur la considération d’une exception américaine, dont le système démocratique, meilleur régime politique existant, doit être exporté y compris par la force. (1) H.‑G. Georg Betz, , Autrement, 2008.