Alfred Binet (1857-1911)

Études sur l'intelligence et la pensée

Alfred Binet est sur-tout connu comme l'inventeur du premier test d'intelligence. Son oeuvre porte en fait sur la pensée sous toutes ses formes : de la psychologie du joueur d'échecs aux études sur l'hypnose.

Qu'un chercheur célèbre de son vivant sombre dans l'oubli après sa mort, voilà qui est monnaie courante. Mais que ce chercheur demeure célèbre en tant qu'inventeur d'un outil dont l'emploi s'est généralisé... au prix d'un contresens sur cet outil qui aurait dû le faire sortir de sa tombe, voilà qui est déjà plus rare. C'est ce qui est arrivé à Alfred Binet.

L'outil, c'est l'échelle métrique de l'intelligence, élaborée avec Théodore Simon (1873-1960), à la demande du ministère de l'Instruction publique, pour repérer les enfants qui ne pouvaient pas suivre une classe ordinaire. Ainsi est né le premier test de mesure de l'intelligence. Il a servi de modèle à tous ceux qui ont suivi, ce qui lui vaut, aujourd'hui, une volée de bois vert de la part de certains : A. Binet serait une sorte de « flic de l'intelligence », qui se serait mis au service du pouvoir pour justifier la mise à l'écart des enfants de pauvres en établissant leur infériorité intellectuelle « naturelle ». Un reproche qui travestit totalement ses intentions.

La perception et le raisonnement

Dans le milieu des chercheurs en sciences humaines, on sait bien que l'oeuvre d'A. Binet ne se limite pas à la création de l'échelle métrique. Mais alors, c'est un autre reproche qu'on lui adresse : son oeuvre touche à trop de domaines ; il serait un dilettante, un touche-à-tout. Reproche lui aussi discutable car à travers des domaines qui sont, en effet, variés - la perception, les sensations, la suggestion, etc. -, c'est un même objectif que poursuit A. Binet : l'étude « des propriétés des processus psychiques qui varient d'un individu à l'autre »1. En fait, ce qu'on lui reproche surtout, c'est de ne pas être parvenu à une vision d'ensemble. Sans doute est-il mort trop tôt. Peut-être aussi cette juxtaposition d'études dans des domaines différents est-elle due à son attachement - étrangement rigoureux et constant pour un dilettante... - à la méthode expérimentale, laquelle exige que l'on définisse un champ d'étude précis.

Au reste, les lecteurs vont pouvoir juger sur pièces : à l'instigation de Bernard Andrieu, et avec le concours de la société Alfred Binet-Théodore Simon, dont il est le secrétaire général, un éditeur, Eurédit, a entrepris la réédition de l'oeuvre complète d'A. Binet. Elle comprendra trente volumes, étalés sur dix ans 2.

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A. Binet étudie la perception, les sensations, les illusions d'optique, etc., en psychologue : ce qui l'intéresse, c'est le rôle que jouent les facultés mentales dans ces domaines. Ainsi, à propos des illusions des sens, écrit-il 3 : « Dans les illusions, la faute n'est pas imputable à l'organe sensitif, mais à l'interprétation de l'esprit. » Il donne l'exemple d'une illusion tactile : si on roule, les yeux fermés, une petite boule entre deux doigts croisés, on croit tenir deux boules. Notre toucher nous trompe-t-il ? Non : c'est notre esprit qui fabrique l'image de deux boules.

Les travaux d'A. Binet dans ces domaines sont dépassés grâce aux progrès de la science (notamment la création d'outils qui permettent de voir le cerveau en action). On n'en est pas moins frappé par la pertinence de certaines de ses intuitions : par exemple, que « la résolution d'agir a le même centre que l'acte qui se réalise »4, ce qui a été confirmé par l'imagerie médicale ; elle montre que, chez un joueur de tennis qui se représente la suite des mouvements aboutissant à un revers, les mêmes zones du cerveau sont mises en jeu que lors de la réalisation de ce revers.