La diversité des langues, de malédiction biblique qu’elle était, est devenue un objet de louanges, dont la défense prend parfois l’allure d’un devoir moral. Cette notion, trop facilement assimilée à son homologue zoologique ou botanique, cache en fait une réalité bien plus complexe dont Louis-Jean et Alain Calvet, associés pour l’occasion, déplient les multiples volets.
D’abord, écrivent-ils, « le nombre de langues parlées dans un pays est une chose, le nombre de leurs locuteurs en est une autre ». Exemple : le Brésil, la Tanzanie et la République démocratique du Congo comptent chacun, aux dernières nouvelles, entre 120 et 200 langues. Mais leurs situations ne sont pas comparables : 95 % des Brésiliens ont le portugais pour langue maternelle, les 5 % restants se partageant les autres langues (allemand, italien et langues amérindiennes). En Tanzanie, la langue la plus pratiquée (le sukuma) ne l’est que par 10 à 15 % de la population… Entre les langues, il existe des différences de poids telles que leur diversité sur un territoire donné est une bien faible description de leur condition, et des problèmes que cela peut poser. Au Brésil, le problème est celui des langues amérindiennes, parfois réduites à quelques dizaines de locuteurs et donc très menacées ; en Papouasie, pays champion en densité de langues (environ 500), le problème est celui de l’État, qui a dû adopter l’anglais et un pidgin local pour pouvoir communiquer avec ses citoyens. Par ailleurs, les langues se moquent des frontières, circulent et doivent leur dynamisme à bien d’autres facteurs que le nombre de leurs locuteurs : leur reconnaissance officielle, leur usage comme langues secondes, leur patrimoine écrit et l’investissement identitaire dont elles font l’objet, comme cela est clair en Belgique, en Irlande ou dans les États issus de l’ex-Yougoslavie.