Freud à l'université, la peau de chagrin

Si le corpus freudien continue d’être enseigné dans les universités françaises, son étude détaillée ne semble plus être un passage
 obligé pour les psychiatres et psychologues. État des lieux.

« Je crois que Sigmund Freud ne fait plus rêver les futurs psychiatres qui ont un besoin cruel de se “légitimer” au sein de la médecine. Ils veulent être de vrais médecins qui recherchent des lésions et des circuits défaillants dans le cerveau, qui savent où et avec quels médicaments ils agissent. Pas des apprentis sorciers, des charlatans qui avancent dans le sol incertain de l’histoire et du vécu. Il faut du palpable et de l’efficacité. » Jeune et brillante interne en psychiatrie originaire de Marseille, Sarah l’avoue sans embarras : soixante-dix ans après la mort de Freud et alors même que son œuvre vient d’entrer dans le domaine public, le père de la psychanalyse a bel et bien déserté la plupart des amphithéâtres de médecine. « Une fois la psychiatrie choisie, les étudiants en médecine peuvent se voir offrir à Paris, outre un séminaire obligatoire axé sur la neurobiologie, cinq séminaires à valider, dont une initiation à la psychopathologie psychanalytique. Mais c’est loin d’être le cas dans d’autres villes de France où les théories freudiennes sont à peine abordées », explique-t-elle. Est-ce là un problème ? Pour certains, pas vraiment. Pour Bernard Granger, professeur à l’université de Paris-V et responsable du service de psychiatrie de l’hôpital Cochin, « des notions solides, sans être approfondies, suffisent ».

 

Redistribution des cartes

La réponse, cinglante, n’est que l’aboutissement d’un mouvement entamé depuis l’engouement pour le cognitivisme et qui s’est accéléré avec la parution du DSM-III en 1980 : en cherchant à rendre la classification des troubles mentaux moins sujette aux ambiguïtés d’interprétation et aux divergences d’appréciation selon les cliniciens, le DSM a abouti à l’implosion des catégories freudiennes. Dans son dernier livre, De quoi la psychanalyse est-elle le nom ? (Denoël, 2010), Roland Gori, professeur de psychologie à l’université Aix-Marseille et psychanalyste, revient notamment sur les soubassements idéologiques de ce travail de sape. « La mise à l’index de l’apport freudien revient à renouer avec le réductionnisme de la physiologie mentale du XIXe siècle, explique-t-il. Quand en psychiatrie s’impose un homme comportemental déterminé par son patrimoine neurogénétique, tous les savoirs de l’homme du conflit, de l’homme psychique, du rêve, de la poésie, c’est-à-dire de l’homme freudien sont exclus du paysage institutionnel. On ne demande plus au psychiatre de guérir la souffrance psychique mais de repérer des populations à risque. Ce ne sont plus des soignants mais des officiers de santé mentale. »