En matière d’histoire, même si les États-Unis présentent certaines particularités, ils ont connu les mêmes évolutions que les autres pays occidentaux. L’histoire se centrait majoritairement sur la nation et les grands hommes, pour mieux développer le sentiment d’appartenance des citoyens, autochtones ou fraîchement immigrés. La plupart du temps, les États-Unis étaient ainsi décrits comme un pays exceptionnel, doté d’une constitution quasi parfaite, né d’une révolution et d’un rejet du joug britannique comme des vices politiques et sociaux européens. Ils apparaissaient comme une force du bien dans le monde, attachée aux valeurs de la démocratie et de l’autodétermination, entrant dans des conflits en tout dernier recours et ne s’adonnant pas à l’impérialisme des puissances européennes.
Les historiens travaillaient avant tout sur les archives américaines, même lorsqu’il s’agissait d’étudier les relations avec les autres pays. Cela n’empêchait pas des moments plus « internationalistes » (les années 1870-1880 ou 1920), une certaine forme de décentrage lorsque les Américains favorisaient l’étude de l’histoire des États-Unis à l’étranger, ou des approches plus critiques venues notamment de la gauche. Mais, comme en Europe, les années 1950 ont renforcé les tendances conservatrices : après la guerre, dont il fallait panser les plaies par l’autoglorification, et face à la menace totalitaire, il était important de s’en tenir aux fondamentaux.
De profondes transformations
Depuis les années 1960, les transformations de l’histoire ont été profondes. L’Amérique est devenue une grande puissance, engagée dans le cadre de la guerre froide sur tous les continents. Il a donc fallu financer des recherches sur des régions encore mal connues. C’est ainsi que se sont développées les area studies*, qui ont connu leurs heures de gloire dans les années 1970-1980. L’élite de l’hyperpuissance se devait de connaître le monde. À l’université d’Hawaï, entre Asie et Amérique, où ont officié la plupart des grands noms d’une histoire élargie (de William H. McNeill, pionnier de la global history*, à Jerry H. Bentley, fondateur du Journal of World History), ce n’est pas un hasard si les militaires furent parmi les premiers destinataires des enseignements de la world history*. Il fallait, pour faire entendre le message américain, connaître le récepteur et se débarrasser un peu de son ethnocentrisme. En effet, les résistances rencontrées par la politique internationale américaine étaient expliquées par l’ignorance et l’arrogance. Les academics de gauche, qui critiquaient cette politique pour son impérialisme et son militarisme, se targuaient de parler au nom des peuples opprimés et de les connaître mieux – notamment en reprenant leurs discours.
Leurs critiques portaient sur l’impérialisme économique américain. S’appuyant sur les théories structuralistes de théoriciens du tiers-monde, influencés par le marxisme autant que par les réflexions braudéliennes sur le capitalisme, des auteurs ont réfléchi à l’échelle d’un système-monde, articulé autour d’un centre (les États-Unis étant devenus le centre du centre) et d’une périphérie sous-développée car dominée. Toutefois, à partir des années 1970, c’est moins la dimension économique que culturelle de la domination occidentale qui a été objet de réflexions et d’études, relayées par des auteurs comme Immanuel Wallerstein ou Christopher Chase-Dunn. En même temps, la modernité occidentale, jadis considérée comme la locomotive de l’histoire, était désormais mise en cause. Car elle aurait construit l’image d’un monde non occidental ahistorique, inférieur car privé des atouts de l’Occident. Le récit national américain, écrit par des élites masculines et blanches, se retrouvait au banc des accusés. Il fallait désormais privilégier les voix des dominés, redécouvrir les pans entiers de l’histoire occultés par les récits centrés sur un Occident hégémonique.