En France, selon la fondation Abbé-Pierre, 85 000 personnes vivent dans des habitats de fortune et 100 000 au moins habitent au camping à l’année. Au fil des parcours résidentiels de ces « sans-domicile fixe », le sociologue Gaspard Lion interroge nos représentations de l’« habitat indigne », et note le caractère stigmatisant, voire excluant, de cette dénomination. Car ce qui est indigne pour celui qui a un logement confortable ne l’est pas forcément pour celui qui n’a pas de toit. Telle est l’idée centrale défendue dans le livre. Le sociologue a mené une longue enquête : il s’est immergé dans l’univers de l’habitat précaire pendant cinq ans et a réalisé une centaine d’entretiens avec des hommes vivant dans les bois en périphérie de la région parisienne, des campeurs permanents ou encore des citadins ayant annexé un trottoir pour y planter une cabane. Il relate leurs parcours singuliers : au-delà des récurrences statistiques qui conduisent à vivre dans de telles conditions (être un homme, avoir de faibles revenus, être isolé), chacun construit et appréhende l’habitat précaire selon son histoire personnelle. Ceux qui ont vécu longtemps dans la rue et sans toit se satisfont du confort rudimentaire d’une cabane dans les bois ou d’une tente au camping, tandis que les expulsés d’un logement en dur vivent plus difficilement la situation. Néanmoins, tous préfèrent décider de leurs conditions d’hébergement, plutôt que d’être ballottés d’un foyer à l’autre. La manière dont ils aménagent la parcelle annexée, négocient au quotidien le droit d’occuper l’espace public avec les autorités, ou encore le soin qu’ils apportent à leur mobile home manifestent cette autonomie si chère, qu’ils perdraient en fréquentant les centres d’hébergement temporaire. L’ouvrage défend plus largement le droit à habiter comme chacun le veut (ou plutôt le peut) et la reconnaissance de la pluralité des formes d’habitat contemporain.
Incertaines demeures
Incertaines demeures . Enquête sur l’habitat précaire, Gaspard Lion, Bayard, 2015, 230 p., 19 €.