Devenir footballeur, un parcours du combattant

Au-delà de transferts et de salaires parfois colossaux, la recherche en sciences sociales décrit un secteur professionnel aux trajectoires instables et aux statuts très inégalitaires.

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Avec sa tignasse teinte en blond, son tutoiement spontané et ses interviews improvisées au coup de sifflet final, le consultant Laurent Paganelli constitue une figure familière des téléspectateurs de football. Mais pour les historiens, il représente plutôt un sujet de recherche. Un matin de la mi-octobre, dans une salle de conférences jouxtant le musée de la Résistance de Limoges, Romain Gardi, doctorant sur l’histoire du football dans le Vaucluse, décortique la carrière de ce joueur formé à Avignon : devenu en 1978 à quinze ans, dix mois et cinq jours, record qui tient encore, le plus jeune joueur de l’histoire de l’élite française, il n’a ensuite pas totalement tenu ses promesses, victime du « syndrome » d’une formation des jeunes pousses alors « incomplète ».

Le chercheur et ses collègues sont réunis pour une session « 100 % foot » des Carrefours annuels organisés par la Société française d’histoire du sport sur le thème « Autopsie de l’échec sportif ». À l’écran, des photos de vestiaire en noir et blanc ou des coupures de L’Équipe voisinent avec d’austères tableaux statistiques ou des citations de Michel Foucault. L’historien Alexandre Joly, auteur de travaux sur les grands noms de l’arbitrage, souligne l’intérêt d’étudier aussi « les échecs de carrière, les contre-exemples, les basculements ». Ses confrères Jean Bréhon et Hugo Juskowiak présentent leur projet de recherche sur la vulnérabilité des entraîneurs, aux « carrières rarement et de moins en moins linéaires », au point que l’incertitude constitue leur « compagne du quotidien » (encadré ci-dessous).

Le monde de la recherche porte une attention croissante aux trajectoires professionnelles des joueurs de football, comme de ceux qui les encadrent ou les assistent. Derrière l’invocation incessante du talent, voire du génie, le monde du ballon rond est confronté au quotidien aux problématiques universelles du monde du travail : sélectivité des parcours éducatifs, inégalités entre travailleurs, complexité des reconversions…

Un écrémage impitoyable

Pour mieux comprendre cette élite aussi dorée que précaire, il faut rentrer, selon le titre d’un essai publié en 2012 par le sociologue Julien Bertrand, dans la « fabrique des footballeurs » car « on ne naît pas footballeur, mais (…) on le devient ». Et on le devient à l’issue d’un écrémage impitoyable, lors duquel la coopération entre coéquipiers se double d’une concurrence individuelle entre aspirants professionnels : si Hugo Juskowiak a intitulé Un pour mille l’ouvrage tiré de sa thèse sur la formation des footballeurs français (2019), c’est que, sur 70 000 collégiens du même âge détenteurs d’une licence, un peu moins de 700 intègrent à l’adolescence le centre de formation d’un club, et seuls 70 deviennent professionnels.