Internet tuera-t-il la presse ?

La presse écrite a survécu à l’arrivée de la radio et de la télévision. Survivra-t-elle à Internet ? La crise de la presse quotidienne américaine réactive les scénarios catastrophe.

La presse a son musée. C’est un gigantesque bloc de verre et de marbre, baptisé le Newseum, qui compte sept étages, quatorze galeries et quinze théâtres entièrement dédiés à l’histoire du journalisme. Situé sur une prestigieuse avenue de Washington, à deux pas de la Maison Blanche, il a ouvert ses portes au printemps 2008. Musée ou mausolée ? Ironie du sort, les journaux américains enregistraient cette année-là une chute historique de leurs ventes. « Beaucoup y ont vu une mauvaise coïncidence, un de ces ultimes hommages que l’on rend aux anciens combattants avant la disparition du dernier poilu », commente Bernard Poulet, auteur d’un livre choc intitulé La Fin des journaux et l’avenir de l’information (1).

Internet est-il en train de tuer la presse ? Cette question brutale revient désormais avec insistance, dans les salles des rédactions comme dans les colloques universitaires. Signe de cette préoccupation, le sociologue Erik Neveu, dans la troisième édition de sa Sociologie du journalisme, ouvrage paru en août 2009, a ajouté un dernier chapitre au titre emblématique : « Les derniers jours du journalisme ? »

 

Série noire américaine

La thèse d’une mort annoncée peut paraître excessive. A ce jour, aucun média n’a tué ses prédécesseurs, et le succès relatif des journaux gratuits montre qu’il n’existe pas de réelle désaffection pour le support papier. Mais du point de vue des usages, l’an 2000 a marqué un tournant. La lecture du journal imprimé a cessé d’être, comme disait Georg Hegel, la prière du matin de l’homme moderne. La consultation des courriels, le visionnage d’une vidéo, la conversation en ligne, la lecture rapide des titres du jour sur Internet : toutes ces habitudes mordent sur le temps consacré à la lecture d’un quotidien (2). Demain, combien de lecteurs prendront encore le temps d’aller débourser quelques pièces dans un kiosque à journaux ? Certains essayistes croient déjà entendre le tocsin de la presse écrite. Philip Meyer, le puissant patron de News Corp, a même fixé la date des funérailles : le dernier quotidien papier disparaîtra au mois d’avril 2040, assure-t-il dans son livre The Vanishing Newspaper (3).

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Les faits, pour le moment, vont dans son sens. Aux Etats-Unis, des dizaines de titres sont menacées d’extinction. 16 000 journalistes américains ont été licenciés en 2008 (contre 2 000 en 2007) et la cadence des plans sociaux s’accélère. Le Boston Globe et le San Francisco Chronicle chancellent, le Rocky Mountain News a stoppé les rotatives, le Christian Science Monitor, centenaire, n’existe plus que sur Internet. Même le prestigieux New York Times a hypothéqué son siège social… Et le vent de panique qui a déferlé sur la presse américaine souffle désormais sur une partie du marché européen, confronté à des difficultés voisines.

(1) B. Poulet, , Gallimard, 2009.(2) Voir à ce sujet O. Donnat, « Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique », rapport pour le ministère de la Culture, 14 octobre 2009.(3) P. Meyer, , University of Missouri Press, 2004. (4) R.G. Picard, « Why journalists deserve low pay », , 19 mai 2009. Disponible sur (5) Pew Research Center, « L’état des medias en 2009 », rapport annuel sur le journalisme américain. Disponible sur (6) C. Anderson, , Pearson, 2009.(7) J.-M. Charon, « Enquête sur les rédactions.fr », communication pour les Assises du journalisme de Strasbourg, 8 octobre 2009.(8) , 25 juin 2009.(9) M. Gauchet, « Où sont les lecteurs ? Aux abris, en général… », , 6 février 2009.