Jean-Baptiste Fressoz «L"histoire comme détecteur de fumée»

Pour Jean-Baptiste Fressoz, la question environnementale n’est pas une idée nouvelle. Ces débats existaient déjà dans les sociétés du passé.

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En 1799, Rougier de La Bergerie, préfet de l’Yonne, met en garde contre le changement climatique. Au même moment, le célèbre chimiste Cadet de Vaux certifie que c’est l’homme et non la nature qui a « changé le cours de l’atmosphère » et asséché les rivières. L’anecdote figure à la page 90 des Révoltes du ciel, ouvrage récemment publié par Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher. Ces citations résonnent étrangement quand on les lit depuis Auxerre, chef-lieu de l’Yonne et siège du magazine Sciences Humaines, en une région frappée depuis plusieurs étés par la sécheresse. Nous ne sommes donc pas les premiers à nous poser de telles questions ? On découvre au fil des livres de J.B. Fressoz une idée récurrente : les sociétés du passé ont eu une conscience aiguë des problèmes environnementaux. De quoi rendre brûlante d’actualité cette interview menée en visioconférence, circonstances sanitaires obligent…

Dans votre dernier livre, cosigné avec Fabien Locher, vous récusez l’idée selon laquelle l’humanité n’aurait pris conscience que très récemment qu’elle pouvait, par ses actions, provoquer des catastrophes environnementales. Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion ?

Au début des années 2000, quand je travaillais sur l’histoire des pollutions industrielles aux 18e et 19e siècles, j’avais été frappé par la récurrence d’arguments sur la santé et, à travers elle, sur l’environnement et sa dégradation. Dans les pétitions contre les usines ou les procès, on trouvait sans cesse des références à l’environnement. Dans un sens médical : au sens de toutes ces choses qui nous entourent, air, eau, lieux et qui agissent sur la santé. Altérer l’environnement, c’était prendre un risque considérable, celui de changer les états de santé et même les constitutions humaines. Ces accusations étaient portées par des médecins, bien sûr, mais on les trouvait aussi couramment dans les plaintes populaires déposées auprès de la police – car au 18e siècle, la police s’occupe des atteintes à l’environnement. Rien de surprenant au fond : les médecins, faute de connaître les microbes, n’avaient à l’époque pas de meilleur paradigme que l’environnement pour expliquer la survenue d’une épidémie.

Dès lors, le récit courant de la « prise de conscience environnementale » ou celui des « alertes » qui auraient été portées par une élite – les romantiques, les savants ou les socialistes utopiques –, tout cela ne fonctionnait pas. Ces idées étaient largement partagées au 19e siècle et même avant.

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Cela vaut aussi pour l’environnement dans le sens d’« écosystème ». Si l’écologie scientifique n’émerge qu’à la fin du 19e siècle, la vision de la nature comme un ensemble connecté, traversé de symbioses complexes, est défendue chez les naturalistes du milieu du 18e siècle, qui sont pétris de théologie naturelle. Et elle s’exprime aussi dans une forme de décence environnementale populaire. Par exemple, dans les années 1770, les pêcheurs normands se plaignent de ce que les industriels récoltent beaucoup trop de varech, des plantes marines utilisées pour produire de la soude. Leur argument : cela va nuire à l’« économie naturelle » des poissons et donc réduire cette ressource.