Les enquêtes CoviPrev de Santé publique France font régulièrement état d’une santé mentale qui se dégrade en France depuis le début de la crise sanitaire. Deux personnes sur trois déclarent souffrir de troubles du sommeil, soit 17 % de plus qu’avant la crise. Les niveaux de dépressions et de troubles anxieux ont atteint des sommets, touchant plus d’un Français sur cinq. Une véritable « psychodémie », affirme Jean Cottraux, pionnier et figure emblématique des thérapies cognitives et comportementales (TCC) en France. Dans Sortir des émotions négatives (Odile Jacob, 2021), il propose un programme d’autogestion des émotions négatives (PAEN). Un programme que tout un chacun pourrait suivre seul, sans forcément recourir à un psy et qui s’appuie sur des techniques bien connues des TCC, telles la distanciation émotionnelle, la restructuration cognitive ou encore l’affirmation de soi.
Votre livre traite des émotions négatives. Quelles émotions ont été particulièrement bouleversées par la crise sanitaire ?
L’impact de la crise a été à la fois sanitaire, économique et psychologique. Le choc psychologique risque d’être plus durable que les conséquences sanitaires et économiques. Il y a eu une montée de l’angoisse de mort avec des effets traumatiques sur nombre de personnes en France. Les manifestations dépressives et anxieuses ont augmenté de plus de 10 % en un an. Lorsqu’on perçoit, à tort ou raison, qu’une situation est hors de contrôle, l’effet est déstabilisant. Ainsi, le confinement a réveillé chez certains des tendances paranoïaques et psychopathiques, chez d’autres un trouble bipolaire, et a induit, aussi, des épisodes psychotiques transitoires. De même, durant cette période, on a assisté à l’éclatement de nombreuses cellules familiales.
Vous employez le terme « émotions toxiques ». À partir de quel moment une émotion devient-elle toxique ?
Une émotion devient toxique quand elle devient dangereuse pour soi ou pour les autres. D’une manière plus générale, les études montrent que des émotions négatives exprimées par l’entourage plus de 3 h par jour en face-à-face peuvent faciliter la rechute d’une schizophrénie, d’une dépression ou encore de troubles des conduites alimentaires (Hooley, 2007). Des émotions négatives, comme l’anxiété ou la tristesse, ont surtout des effets délétères sur notre propre fonctionnement psychologique. La colère ou le mépris font du mal aux autres, mais également à soi-même. Il serait illusoire de croire que l’expression de la colère permet de se libérer d’un poids. Au niveau physique elle peut générer de l’hypertension artérielle et déclencher des incidents coronariens. En outre, l’expression de la colère induit chez le coléreux un état de malaise avec des conséquences sociales non négligeables : sensation de ridicule, peur chez les destinataires et parfois l’éviction sociale. Ceci dit, il y a des colères légitimes qui préparent à des actions justifiées.