« Les paroles partent et les actes marquent » : cette punchline du rappeur Oxmo Puccino traduit une idée très présente dans le sens commun, à savoir que les paroles ne seraient que du vent alors que les actions, elles, laissent des traces. Pour être populaire, la formule ne résisterait pas à l’examen d’un philosophe du langage, et ce depuis les années 1950… En effet, dans une série de conférences prononcées en 1955, l’Anglais John Langshaw Austin (1911-1960), l’un des principaux philosophes analytiques formé à l’école de Gottlob Frege et de Bertrand Russell, exposait une thèse bien différente à propos du langage quotidien et des effets que celui-ci produit sur autrui. Il remarquait d’abord que, contrairement à une tradition logicienne qui voulait qu’une assertion ne puisse qu’être vraie ou fausse, il y a couramment des phrases qui ne sont ni vraies ni fausses : celles en forme de question, de souhait, de commandement, de concession… Et pour cause : ce sont des énoncés qui engagent le sujet dans le monde, qui sont censés agir sur lui, et se traduisent par des succès ou des échecs. D’où le titre de son livre posthume Quand dire, c’est faire (1962) qui reprendra cette série de conférences, et dans lequel, avec des mots simples et des exemples nombreux, il bouscule bon nombre d’idées courantes sur le langage. L’approche est originale et aura une belle postérité.
« Le phénomène à discuter, écrit-il, est en effet très répandu, évident, et l’on ne peut manquer de l’avoir remarqué, à tout le moins ici ou là. Il me semble toutefois qu’on ne lui a pas accordé spécifiquement attention. » De quoi s’agit-il ? D’une propriété qu’il nomme « performativité ». Prenez les expressions suivantes : « Je baptise ce bateau Surcouf », « Je vous déclare maintenant mari et femme », « Je parie sur le cheval n° 4 ». Ce sont autant de phrases qui, une fois prononcées, auront peut-être des conséquences irréversibles sur le cours de votre vie. Elles sont bien différentes des phrases qui constatent un fait, comme « il fait beau aujourd’hui ». Ces énoncés qui permettent d’agir ainsi sur le monde sont, selon le terme employé par Austin, « performatifs ». Dérivé du verbe to perform (exécuter, réaliser une action), il indique que leur énonciation revient à exécuter une action dans le monde. En prononçant un performatif, je ne décris ni n’affirme ce que je fais, mais je le fais, tout simplement. Encore faut-il que la phrase soit prononcée dans le contexte adéquat pour que l’acte aboutisse : par exemple, la déclaration « je lègue à mon fils unique mon grand appartement parisien », ne prendra vraiment effet que si elle est prononcée devant notaire. Austin nomme ces données de contexte « conditions de félicité ».
1962, rééd. Seuil, coll. « Points », 1991.