John Rawls a 50 ans lorsqu’il publie Théorie de la justice. Un livre longuement mûri qui n’entend pas moins que proposer une nouvelle théorie politique de la justice sociale au moment même où les États-Unis sont confrontés à la guerre du Viêtnam et au mouvement pour les droits civiques. L’ouvrage suscite tant de débats et de critiques que son apport ne tient pas seulement à la théorie qu’il présente, mais à l’ensemble des réflexions qu’il conduit à formuler sur les principes fondamentaux de la démocratie.
Les principes de justice
L’objectif de Rawls est de repenser le contrat social et d’établir à nouveaux frais les principes qui doivent régir des institutions justes. Mais ces principes, Rawls les établit à partir d’une procédure étonnante, ce qu’il appelle la « position originelle ». Imaginons que le choix de ces principes soit confié à des citoyens, à la fois rationnels et raisonnables, placés dans une situation d’égalité. Chacun a autant de poids que les autres et tous ont accepté de se placer sous un « voile d’ignorance », c’est-à-dire dans une situation où chacun ignore quels sont ses talents personnels, sa situation sociale et les avantages dont il pourrait bénéficier dans la société. De la sorte, leur raisonnement ne sera pas influencé par la considération de leurs intérêts personnels. Selon Rawls, cette position originelle aboutit à un consensus sur deux principes. Le premier établit un droit égal au plus grand nombre de libertés de base, par exemple le droit de vote et d’éligibilité, la liberté d’expression, la protection de la personne, le droit à la propriété privée… Le second principe définit les règles de la justice sociale et a un double versant. Il stipule d’une part que les inégalités socioéconomiques ne sont acceptables que si elles bénéficient aux membres les plus défavorisés de la société. D’autre part, il exige le respect de l’égalité des chances. On voit là tout l’enjeu de ces deux principes : concilier justice sociale et liberté, mais aussi la rendre compatible avec certaines inégalités.