Joseph H. Greenberg (1915-2001) a été directeur du département d’anthropologie de l’université de Stanford et membre de l’Académie des sciences des États-Unis. Les travaux de ce linguiste et anthropologue américain sur les universaux du langage et la typologie des langues ont marqué son époque. La question des universaux a en effet ressurgi dans les années 1960 avec les travaux sur la grammaire générative de Noam Chomsky et les recherches sur la traduction automatique. La théorie du langage de Chomsky repose sur l’hypothèse du développement de schémas fixes innés et celle de l’universalité des structures profondes de la syntaxe. Le but premier de la recherche sur la grammaire générative était de déterminer l’ensemble des règles permettant de générer toutes les phrases d’une langue donnée. Mais cette recherche a également permis de montrer qu’il existait des invariants communs à de nombreuses langues. Ainsi, selon Greenberg, dans les langues sans morphologie nominale (par ex. sans déclinaisons), l’ordre sujet nominal-objet nominal (SO) est le seul qui régit les phrases affirmatives, et, dans les langues présentant des distinctions morphologiques, fait office d’ordre non marqué (c’est-à-dire, par défaut).
En 1961, Greenberg propose une liste de 45 universaux morphologiques (éléments significatifs composant les mots) et syntaxiques (façon dont les mots se combinent pour former des phrases) sur la base de l’étude de 30 langues 1. Sa démarche est à l’opposé de celle des spécialistes des langues indo-européennes : ce que Greenberg cherche à mettre en valeur ce sont les ressemblances plutôt que les différences. Par exemple, les six possibilités syntaxiques d’ordonner une phrase composée d’un sujet nominal (S), d’un verbe (V) et d’un objet nominal (O) sont SVO, SOV, VSO, VOS, OSV et OVS. Les six occurrences sont possibles en russe, mais SVO est le seul ordre initialement employé par les enfants russes : dans une phrase comme Mama ljubit papu (Maman aime papa), si l’ordre des mots est inversé, Papu ljubit mama, et malgré les désinences marquant S et O, les jeunes enfants ont tendance à mal interpréter le message et à comprendre « papa aime maman » comme si on avait prononcé Papa ljubit mamu. Ainsi, la règle de Greenberg peut être restituée comme suit : dans des phrases affirmatives avec un sujet nominal et un objet nominal, le seul ordre ou bien l’ordre non marqué est presque toujours celui dans lequel le sujet précède l’objet. Dans une langue où S et O ne présentent pas de marques distinctives, en français par exemple, l’ordre SO est le seul admis. Cet ordre est obligatoire dans une langue comme le russe, quand S et O perdent leur marque morphologique : Mat’ ljubit do’ (la mère aime sa fille), la signification changeant si l’ordre s’inverse.