L'Afrique est-elle bien partie ?

Après avoir été présentée comme le continent des faillites, l’Afrique recueille désormais tous les suffrages. La voici promue au rang de futur dragon de la mondialisation. Comme toujours, la réalité doit être nuancée.

Après avoir été vue comme le continent de tous les fléaux (misère, sida, guerres civiles, corruption, etc.), l’Afrique serait-elle enfin en train de décoller ? À l’occasion du cinquantenaire des indépendances, une avalanche d’articles, de dossiers et de livres a paru sur le sujet. Tous annonçaient la bonne nouvelle : l’Afrique va bien. Avec 5 % de croissance économique annuelle en moyenne, elle est entrée depuis le début des années 2000 dans ses trente glorieuses à elle. Des économies désendettées et bien gérées, une classe moyenne en forte croissance, des investissements qui affluent, l’Afrique apparaît désormais comme un continent émergent. Que faut-il penser de ce retournement spectaculaire ? Est-ce un retour à la case départ après deux décennies de convulsions ? Voyons ce qu’il en est vraiment.

En 1962, tout juste décolonisée, l’Afrique paraît un continent d’avenir : peu peuplée, riche en matières premières, on la dit engagée dans la grande marche pour le développement, surtout comparée à une Asie affamée, surpeuplée et secouée de graves tensions. René Dumont est alors l’un des rares à prophétiser qu’elle est mal partie. Il a vu juste : pion entre les deux blocs pendant la guerre froide, théâtre délocalisé des affrontements entre l’Est et l’Ouest, l’Afrique vit sous le joug de dictateurs féroces qui tirent leur légitimité du soutien extérieur dont ils bénéficient. Faute de contre-pouvoirs, elle néglige son agriculture, rendant sa population vulnérable aux sécheresses (1973-1974 particulièrement), engraisse son secteur public au point de le rendre obèse et impotent, vit largement au-dessus de ses moyens.

 

Le temps de ajustement structurel

La première sanction tombe lors de la décennie 1980-1990 : la crise de la dette, et l’ingérence économique qu’elle entraîne. Voici « déflatés » les fonctionnaires surnuméraires, fermées les entreprises publiques, ouvertes les frontières. La communauté internationale impose à l’Afrique un ajustement structurel drastique qui l’asphyxie dans une rigueur sans cesse reconduite.

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Mais le contexte international change : le début des années 1990 voit disparaître l’Union soviétique. Le modèle occidental règne en maître. Plus besoin de dictateurs amis. Plus besoin d’aide dispendieuse à un continent dont on dit dans l’entourage du président américain qu’« il pourrait disparaître de la surface de la Terre sans rien changer ». L’Afrique, combien de divisions ? 2 % des échanges internationaux contre 6 % dix ans avant, 2 % des flux mondiaux de capitaux privés contre près de 30 % en 1976, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Même les exportations agricoles se sont effondrées.

Après l’ingérence économique, voici l’ingérence politique. En juin 1990, François Mitterrand avertit les chefs d’État africains lors du sommet de La Baule : sans démocratie, sans bonne gouvernance, conditionnée à un accord avec le FMI, plus d’aide. Voici l’Afrique projetée brutalement dans l’ère du multipartisme et de la démocratie importée, elle qui n’a connu que la domination coloniale, puis le règne du parti unique. Privés de leurs appuis, les dictateurs tombent les uns après les autres. Une bonne nouvelle ? Non, car l’Afrique entre dans la décennie du chaos. Le chaudron trop longtemps cadenassé bouillonne. Les guerres civiles se multiplient pour la conquête du pouvoir. 35 pays en guerre sur 53 en 1992. L’aide publique, devenue inutile, a déserté ? Elle revient en catastrophe sous la forme humanitaire. L’Onu et les ONG s’installent à demeure dans un continent où les famines sont provoquées puis exposées pour drainer les financements internationaux, dans des pays « verts » pourtant, comme le Liberia, la Sierra Leone, le Congo, l’Angola ou le Sud-Soudan. Les bons samaritains affluent, pas toujours aussi désintéressés qu’ils le proclament : marchands, missionnaires et militaires ont, comme au bon vieux temps des colonies, repris possession des terres de désespérance. Les sectes se multiplient. Face à la disparition des services publics, les écoles coraniques ou évangéliques prennent le relais. Malgré le chaos apparent, les affaires continuent pourtant : c’est quand les États ne contrôlent plus leurs territoires que tout devient possible. Maillon faible de la mondialisation, comme l’écrivait l’écrivain zaïrois Bolya (1), l’Afrique paraît un continent fichu. Dont il faut empêcher, par l’endiguement humanitaire et le verrouillage des frontières occidentales, que ses malheurs nous reviennent en boomerang. Des victimes innocentes soignées sur place, oui. Des immigrés ? Pas question, surtout s’ils sont basanés et barbus.