En disant dès le xixe siècle qu'en démocratie, la science de l'association est la science-mère, Tocqueville mentionnait l'importance dans la vie moderne de l'association comme lien social volontaire.
A l'orée du xxie siècle, alors que l'on fête en France le centenaire de la loi qui a reconnu le droit d'association, le paysage semble pour le moins contrasté.
Certains observateurs et acteurs associatifs s'inquiètent de la crise du bénévolat. Selon eux, ce serait « la fin des militants » 1 et l'on ne trouverait plus de relève prête à s'investir dans la vie associative. Aux animateurs infatigables, dévoués corps et âme à la cause, succéderaient des adhérents égoïstes et consuméristes qui privilégieraient les associations de sports et de loisirs. L'individualisme aurait envahi le secteur associatif, désormais assigné à satisfaire des visées hédonistes.
Ces constats, confortés par les statistiques sur la stagnation de la participation associative, ne sauraient résumer l'ensemble des pratiques. Celles-ci concernent en effet 40 % des Français, un homme sur deux et une femme sur trois. Le nombre de créations d'associations a connu une croissance accélérée depuis le milieu des années 70 : de 20 000 en 1975, il est passé à 60 000 par an dans les années 90. Huit Français sur dix sont concernés par la vie associative, ils ont une bonne image des associations, centrée sur le bénévolat et la solidarité.
Pour 80 % des Français, l'association est une idée d'avenir 2. La vieille dame associative, que d'anciens pensent épuisée, affiche en même temps pour ses cent ans une vitalité inédite.
Comment les sciences sociales, l'économie, la sociologie, les sciences politiques peuvent-elles aider à expliquer ce constat paradoxal ?
Entre marché et état
L'économie néoclassique 3 appréhende l'analyse du phénomène associatif par le biais des échecs du marché dans la fourniture de services individuels. Son théorème fondamental démontre l'efficacité du marché, composé de consommateurs et d'entreprises. Mais, dans certains échanges, la nature du bien ou les caractéristiques des personnes impliquées peuvent devenir des obstacles qui entravent la transaction. Les associations peuvent alors être mobilisées pour corriger les imperfections du marché. C'est le cas pour des services comme l'aide à domicile aux personnes âgées ou la garde d'enfants, l'usager se trouve fragilisé par son besoin urgent de service et il ne peut guère évaluer la qualité de ce qui lui est proposé. La demande excédant l'offre, il n'a qu'un choix limité et une fois qu'il a obtenu une prestation, le changement est coûteux en temps et en argent.
Pour remédier à cet échec du marché, la théorie néoclassique préconise le recours à des organisations qui sont en mesure de susciter la confiance des usagers par des caractéristiques rassurantes. C'est là que les associations bénéficient d'un atout spécifique : leur absence de but lucratif. Le statut juridique de l'association - avec sa contrainte de non-redistribution du profit - peut constituer un signal de confiance puisqu'il garantit que le service ne sera pas surfacturé. Cet argument est central au sein de la littérature anglo-saxonne dans laquelle, fort logiquement, le secteur associatif est identifié au secteur sans but lucratif. Les associations proposent donc aux consommateurs une solution différente de celle émanant des entreprises à but commercial.
Par ailleurs, il existe un domaine, celui des services collectifs, le premier d'entre eux étant l'éducation, dans lequel la thèse néo-classique admet que l'Etat peut se substituer au marché en assurant un financement par l'impôt. Ce processus d'allocation des ressources ne garantit toutefois pas l'efficacité du résultat. Le service public peut laisser certaines demandes spécifiques sans réponse. Il y a, dans ce cas, échec de l'Etat puisque certaines demandes restent insatisfaites. C'est ainsi que l'économiste B. Weisbrod 4 explique la présence d'organisations sans but lucratif, par l'action de minorités, qu'elles soient ethniques ou autres.