L'écologisme : un volcan en sommeil ?

L’idéologie écologiste se constitue à la fin des années 1960. Discours global, structuré, cohérent scientifiquement, elle se répand dans les multiples ONG qui émergent dans les années 1970 et imprègne avec succès la société civile. Critique de la croissance économique, combat antinucléaire, alertes sur la biodiversité et la qualité de l’air… Un grand récit est né. Mais qu’en est-il advenu quarante ans après ? Devenu consensuel et trop évident en Occident, ce grand récit se serait transformé, selon Jean-Paul Bozonnet, en « mythe dormant » (1). Un relatif désenchantement qui s’explique par trois évolutions.
Le récit écologiste a d’abord souffert d’un processus de rationalisation. Il a été accaparé par la science (l’écologie, en tant que sous-discipline scientifique, connaît un vif succès) et par d’autres institutions telles que l’État, l’université et les entreprises. Un mouvement amplifié par la trajectoire des militants, qui évoluent de plus en plus vers l’expertise et la professionnalisation. Marqué du sceau froid de la rationalité, le récit a ainsi perdu nombre de ses dimensions mythiques.
Deuxième mouvement : la fragmentation. Le grand discours écologiste a tendance à se dissoudre en actions concrètes et immédiates : mobilisation contre l’installation d’une entreprise polluante, manifestations contre un projet municipal d’enfouissement de déchets radioactifs, etc. Ce phénomène correspond à l’émergence des nimby (« not in my back yard », en français « pas dans mon jardin »), ces mouvements préoccupés d’intérêts locaux souvent déconnectés d’une vision globale de l’écologie. En se concentrant sur l’action concrète et localisée, ils s’éloignent des origines et des finalités du grand récit.
Enfin, l’imaginaire écologiste souffrirait lui aussi de fragmentation : les symboles mobilisés par les militants seraient de moins en moins articulés entre eux, au détriment de la logique globale. Par exemple, la symbolique animale ou celle de la forêt, à forte valeur sentimentale, sont beaucoup utilisées par les ONG, mais souvent de manière autonome, sans inscription dans une perspective d’ensemble. Cela conduit à amplifier les phénomènes affectifs, à privilégier les conséquences spectaculaires « au détriment des arguments rationnels qui ne sont plus portés par la logique complète du récit ».
Conclusion de ces froids processus : l’idéologie écologiste semble avoir laissé place à un « postécologisme », sorte de volcan endormi se réveillant par intermittence. La rançon du succès pour une idéologie qui imprègne désormais l’ensemble des sociétés occidentales.

(1)