Comment voyez-vous évoluer les rapports femmes-hommes d’ici 2050 ?
L’exercice est très difficile car on a toujours tendance à prolonger les courbes démographiques en cours quand on fait de la prospective. C’est ce qu’avaient fait des chercheurs de la fin des années 1950 : on leur demandait d’imaginer « la famille de l’an 2000 » et ils ont répondu qu’avec la prospérité économique, on pouvait anticiper que la famille serait une unité de consommation très stable, avec encore plus de mariages, encore moins de divorces, encore plus de femmes pouvant se consacrer entièrement à leur foyer, et des familles nombreuses (mais pas trop).
Nous savons maintenant qu’ils avaient tout faux. Ils auraient dû être attentifs à ce qui se préparait silencieusement avec les progrès de l’éducation des filles, de l’urbanisation et de la tertiarisation de l’économie : l’émancipation des femmes, le refus du modèle femme au foyer/homme pourvoyeur, la critique du mariage napoléonien et du règne du « chef de famille », la libération sexuelle grâce à la contraception et à l’IVG, bref tout ce qui a permis l’avènement à partir des années 1970 d’une société fondée pour la première fois dans l’histoire de l’humanité sur la valeur d’égalité des sexes et acceptant dans ce cadre des familles beaucoup plus diverses…
Désormais, les itinéraires biographiques complexes des individus traduisent la façon dont chacun aménage la tension entre les deux grandes valeurs relationnelles de notre temps : d’une part, un idéal amoureux fondamentalement électif et donc soumis au risque de rupture ; et d’autre part, un idéal de pérennité des liens aux enfants, la filiation étant désormais pour nous le seul lien idéalement inconditionnel et indissoluble, celui qui soutient nos besoins vitaux de sécurité affective.
Et quelle leçon en tirez-vous pour l’avenir ?
On voit bien aujourd’hui que nous sommes entrés depuis un demi-siècle en France, et plus généralement dans les sociétés occidentales, dans un « nouveau régime » des rapports sexués (entre hommes et femmes, mais aussi entre femmes et entre hommes), marqué par les progrès constants de l’égalité des sexes, devenue la valeur cardinale des démocraties. On peut donc anticiper que la mixité croissante dans tous les domaines de la vie sociale (éducation, professions, activités sportives et artistiques, responsabilités politiques, etc.), l’investissement croissant des hommes dans la famille et les soins aux enfants, les progrès du démariage et de la diversité des familles, l’avènement d’une nouvelle civilité sexuelle fondée sur l’idéal de respect du consentement d’autrui intégrant l’homosexualité comme une dimension normale de la sexualité humaine, l’intégration des personnes intersexuées et transgenres, tout cela dessine des tendances lourdes qui devraient se poursuivre jusqu’en 2050.