L'émergence du capitalisme actionnarial

Depuis les années 1980, des investisseurs financiers ont pris une part croissante dans le capital des plus grandes entreprises mondiales. Cette évolution explique en partie les dérives du capitalisme contemporain.

Au cours des trois dernières décennies, le capitalisme occidental a connu des transformations profondes, liées notamment à l’influence croissante de la finance de marché. Entre 1990 et 2000, le poids de la sphère boursière relativement à la sphère réelle (le PIB) fait plus que doubler aux États-Unis, quadrupler en France. La propriété des grandes entreprises cotées en Bourse se modifie, des deux côtés de l’Atlantique, avec la montée en puissance d’investisseurs financiers, les « investisseurs institutionnels », au détriment des ménages, des entreprises non financières ou de l’État. Les rapports de pouvoir dans l’entreprise sont bousculés, en faveur d’actionnaires essentiellement intéressés par la valeur boursière des sociétés dans lesquels ils investissent. Comprendre les répercussions de ce mouvement sur la gestion des entreprises cotées est un enjeu majeur, dans la mesure où celles-ci, quoique peu nombreuses, soient les acteurs clés de nos économies : ainsi, sur les 30 plus gros employeurs du secteur privé en France, 20 sont cotés à la Bourse de Paris (Carrefour, Veolia, Saint-Gobain, Suez, Renault, BNP-Paribas, Total, etc.).

 

Ces fameux fonds spéculatifs

Qui sont donc ces investisseurs institutionnels ? Ils ont en commun de centraliser et de gérer l’épargne des ménages, en la plaçant sur les marchés d’actifs (financiers, immobiliers, etc.). Il s’agit aussi bien de fonds d’investissement type Sicav, très communs en France, que de compagnies d’assurance ou de fonds de pension gérant de l’épargne retraite. On peut également ajouter des acteurs particulièrement actifs depuis le début des années 2000, les fameux « hedge funds » (ou « fonds spéculatifs »), qui s’adressent à des ménages ou des investisseurs fortunés, et offrent des perspectives de rentabilité élevée via une gestion agressive, de court terme, de leur portefeuille. La montée en puissance des investisseurs institutionnels a été tirée par la croissance de longue période de la richesse des ménages, en Europe et plus encore aux États-Unis, où l’épargne retraite est gérée via des fonds de pension privés dans le cadre d’un système par capitalisation. Ces investisseurs institutionnels sont aujourd’hui les premiers détenteurs d’actions cotées aux États-Unis et en Grande-Bretagne, mais également en France, où la part détenue par les fonds étrangers (anglo-saxons notamment) est communément supérieure à 40 % pour les plus grosses entreprises.