L'enfant roi de la Chine urbaine

Hyperchoyés, objets de surinvestissement parentaux, les jeunes Chinois issus de la politique de l’enfant unique ressemblent beaucoup aux enfants rois des pays occidentaux. Avec, cependant, quelques spécificités dues au contexte de ce grand pays en pleine transformation.

En Chine, les enfants des villes nés entre les années 1980 et la première décennie des années 2000 font l’expérience d’une situation familiale sans précédent. Dans un pays habitué aux familles nombreuses – leurs propres parents ont en moyenne cinq ou six frères et sœurs –, ils sont seuls pour assumer le rôle de descendant. Cette position les rend particulièrement précieux et leur a valu les surnoms de « petits empereurs » et « petites princesses » ou bien de « petits soleils ». Seuls représentants de leur génération au sein de leur maison face à des adultes plus nombreux, ils ont acquis une place centrale. Selon le phénomène appelé « 4-2-1 », quatre grands-parents et deux parents prennent parfois soin d’un seul enfant.

« Tout le monde doit m’obéir ! »

Quelles sont les conséquences de tels bouleversements démographiques ? Les premiers enfants uniques atteignent aujourd’hui l’âge adulte, puisque la politique de l’enfant unique a été mise en place en 1979 (encadré ci-dessous). Comment vivent-ils leur enfance ? Finalement, l’enfant chinois est-il si différent de ses petits camarades occidentaux, eux aussi devenus un bien rare dans les sociétés contemporaines ?

Pour les principaux intéressés comme pour les adultes, les deux principaux maux imputés à cette situation sont la surprotection familiale et la solitude ressentie par les enfants. C’est pour y remédier que certains parents de milieux très aisés choisissent la solution des internats privés dans lesquels ils placent leur enfant, parfois dès la maternelle, mais le plus souvent vers 6 ou 7 ans pour l’entrée à l’école élémentaire. D’autres font en sorte de favoriser les rencontres entre cousins. La famille étendue retrouve alors un rôle primordial afin de compenser l’absence de frères et sœurs. Néanmoins, de l’avis de tous – et malgré les dénégations du gouvernement –, la politique de l’enfant unique a de nombreuses conséquences considérées comme néfastes par la population chinoise. La première relevée est le changement de comportement des enfants. On dit constamment que les petits empereurs sont trop « gâtés », « difficiles », « égoïstes », « solitaires », voire « asociaux », « paresseux », « peu courageux », et « peu indépendants ». Certains deviendraient même de véritables petits tyranneaux, n’hésitant pas à s’exclamer : « Tout le monde doit m’obéir ! »

Les enfants uniques ont effectivement pris l’habitude de manifester leurs désirs, leurs sentiments et leurs émotions avec force. Ils disent « je veux… », « je ne veux pas… », « je pense… », « j’aime… », « je déteste… ». Ils n’hésitent pas à refuser de manger ce qui leur est proposé, au grand désespoir de leurs parents ou grands-parents, qui ont souvent connu des périodes où les denrées étaient rares, et pour les plus âgés des périodes de famine. Pour compenser, les adultes les gavent de nourritures fortifiantes. Ceci, ajouté à leur engouement pour les chaînes de fast-food occidentales, les fait grossir jusqu’à devenir parfois obèses. Les McDonald et Kentucky Fried Chicken sont généralement remplis de jeunes enfants accompagnés de leurs parents qui se contentent de les contempler pendant qu’ils mangent. Les caprices et les colères en pleine rue sont fréquents. Lorsque les enfants sont jeunes, les parents répondent souvent sur le registre des sentiments : « Si tu continues, maman/papa ne t’aimera plus… » Telle est la phrase que l’on entend constamment, généralement peu suivie d’effets. Car les enfants uniques sont sûrs d’être irremplaçables.