L'éthique, un dilemme sociologique

Si Max Weber et Émile Durkheim ont placé la morale au cœur de leurs interrogations, la « sociologie morale » n'en est pas pour autant devenue un champ de recherches à part entière.

Le sociologue qui s'intéresse à la morale est généralement confronté à une funeste alternative. Soit, en effet, il pose que la morale est une dimension essentielle de la vie sociale, coextensive de l'appartenance à une communauté ou une société donnée ; mais le constat est alors trop général pour engendrer, en tant que tel, des recherches empiriques précises. Soit il cherche à analyser les moments où dans la vie sociale se cristallisent des controverses ou des débats moraux, mais alors on a affaire à une sociologie spécialisée (sociologie de la déviance, des religions, du débat public...), où se perd la spécificité de la morale comme dimension de l'appartenance sociale.

Weber et Durkheim, les pères fondateurs

L'intérêt sociologique pour la morale naît pourtant avec la discipline elle-même, notamment chez deux de ses pères fondateurs, Max Weber et Emile Durkheim. A cheval sur les XIXe et XXe siècles, leurs interrogations sur les transformations sociales auxquelles ils assistent se traduisent par un diagnostic de « crise morale ». M. Weber, sensible à l'avènement d'un « polythéisme des valeurs » (engendré par le déclin d'une vision religieuse unifiée du monde), va se consacrer à un vaste projet de sociologie des religions, qui se centrera sur l'analyse des liens entre religion et conduites sociales. En sortira par exemple son célèbre ouvrage sur L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme (1905), où il mettra en évidence les « affinités électives » qu'entretiennent une certaine doctrine religieuse, le calvinisme puritain, et les dispositions de l'entrepreneur capitaliste. La première, en encourageant une conduite de vie fondée sur le travail et l'accumulation des profits (au lieu d'en jouir immédiatement), a pu favoriser l'apparition de la mentalité rationnelle et ascétique propre au second. Sur un autre plan, M. Weber mettra en évidence le paradoxe éthique de l'homme politique moderne, tragiquement sommé de (ne pas) choisir entre une éthique de conviction qui enjoint de défendre des valeurs sans se soucier des conséquences des actes, et une éthique de responsabilité qui pose le principe inverse.