L'identité, une ressource pour l'action

Toutes les sociétés contemporaines sont marquées par l'avènement de l'individu et de sa construction identitaire. Traditionnellement définie par les institutions, l'identité devient une ressource bricolée valorisant selon les circonstances des aspects religieux, professionnels, ethniques, sexués, etc.

Papu est un riche agent de change, vivant à Bombay. Il est inséré dans la culture économique dominante, cette manière de vivre, de se comporter et de penser que partagent les hommes d'affaires agissant sur des marchés transnationaux, les fonctionnaires internationaux et une part croissante des hommes politiques de la planète. Papu, en bon financier, est en lien avec des homologues asiatiques, américains, européens, qui partagent avec lui cette culture et les comportements qui y sont associés. Dans le même temps, Papu est inséré, avec sa famille, dans la communauté jaïn. Cette appartenance se manifeste principalement par l'observance de pratiques et le respect de valeurs religieuses. Bien qu'il appartienne de plain-pied à une culture d'affaires de type occidental, le financier se sent aussi pleinement indien : « Si vous êtes en période d'affaires, l'image que vous aurez sera celle de la déesse Lakshmi. En d'autres occasions, ce sera Saraswati. Lakshmi est la déesse de l'opulence. Saraswati celle de la sagesse. Et quand je pense aux enfants des bidonvilles, je dois penser à Dieu... Or, pourquoi suis-je ici et non là-bas, dans les bidonvilles ? Nulle part, dans l'instruction organisée qu'on m'a donnée à l'école et à l'université, je ne trouve de réponse à ces questions. » Papu est un personnage de fiction inventé par V.S. Naipaul, le prix Nobel de littérature, et mis en scène dans un récit de voyage intitulé Inde. V.S. Naipaul est lui-même né de parents indiens immigrés aux Antilles et vit aujourd'hui en Angleterre. Papu, on le voit, a une identité complexe, qui s'incarne dans des croyances, valeurs et surtout des actions multiples. Il est tiraillé entre une identité communautaire et une référence à la culture occidentale de la modernité fondée sur le rationalisme, comme l'ont été depuis trois ou quatre siècles et le sont aujourd'hui tous les êtres confrontés à la modernisation. Pour ainsi dire, tout un chacun sur cette planète !

Cet exemple souligne combien la question de l'identité est cruciale quelle que soit la société considérée. On comprendra d'ailleurs aisément que la définition de l'identité individuelle ou collective soit au coeur de la compréhension des mutations sociales contemporaines : crises de l'identité nationale, guerres identitaires (religieuses, ethniques) recomposition des identités religieuses ou familiales, rôle central de l'identité individuelle. La notion d'identité est multiforme. On l'utilise dans des circonstances aussi différentes que l'analyse de l'élaboration de la personnalité de l'enfant ou l'attitude de défense des populations lors de conflits guerriers. Il convient pour la comprendre de se placer à toutes les échelles où la notion identitaire s'exprime : l'individu, le groupe, la société. Les recherches contemporaines rappellent toutes, avec insistance, que l'image et l'estime de soi, les identités communautaires ou politiques s'élaborent dans des interactions entre les individus, les groupes et leurs idéologies.

Or, et c'est là le contexte commun à toutes les sociétés actuelles (particulièrement dans les pays occidentaux), on constate l'avènement de l'individu. Il est désormais sujet de son existence, devenu progressivement la figure centrale des sociétés contemporaines. La mise en scène du soi, la construction identitaire, constitue l'une des modalités cruciales des pratiques et des représentations individuelles. La montée de l'individualisme a entraîné en Occident la dissolution ou les mutations profondes d'institutions de socialisation antérieures, comme la famille, l'Eglise, l'école, mais aussi les institutions politiques. La socialisation et l'identification que ces institutions organisaient et maîtrisaient se fait désormais selon des modalités renouvelées. Le cas de la famille est de ce point de vue éclairant. La structure patriarcale et autoritaire est morte. La société est aujourd'hui caractérisée par la négociation et la promotion des potentialités de chacun de ses membres, qui cherchent à élaborer leur propre identité et leur propre parcours de vue.