La Chine au temps du Premier Empereur

Parangon de la tyrannie pour les uns, unificateur inspiré 
de la Chine pour les autres… Le Premier Empereur a endossé 
bien des rôles. Mais qui était-il vraiment ?

Le Premier Empereur, Qin Shihuangdi, qui unifia la Chine en 221 av. notre ère, est perçu comme l’archétype du tyran. Aux yeux des Chinois, il incarne l’antithèse des valeurs confucéennes que sont la bienveillance, l’humanité, la justice, la modération et le respect de l’éducation. De nombreux historiens occidentaux, à l’inverse, l’ont hissé sur le même piédestal qu’Alexandre le Grand ou César, et bien évidemment Mao – alors qu’il n’avait pas grand-chose en partage avec ces illustres références : dénué de génie militaire comme de sens de l’État, tout au plus partageait-il avec Mao une certaine paranoïa. Il convient aujourd’hui de reconsidérer sa légende noire à nouveaux frais, sans lui chercher de référent, en s’efforçant de coller aux réalités culturelles de la Chine de son temps.

1. La fragilité du Mandat céleste

Dans la Chine antique des Shang (du XVIIIe siècle à 1121 av. notre ère) et des Zhou (1121-256 av. notre ère), le concept d’empire, au sens occidental du mot, n’existe pas : on désigne l’ensemble du monde chinois, quelle que soit la forme de la domination politique qui s’y exerce, sous le terme de Tianxia, « ce qui est sous le Ciel ». Le souverain de cet ensemble est le Fils du Ciel (Tianzi). Il ne doit sa légitimité qu’à la volonté céleste qui se manifeste sous la forme du Mandat céleste (Tianming).

Ce Mandat céleste peut être retiré à un souverain qui n’agit pas en conformité avec ce qui est attendu d’un roi. Le Ciel manifeste alors l’illégitimité du souverain par des signes astronomiques ou physiques : apparition de comètes, chute de météorites, tremblements de terre, inondations, invasions de sauterelles, etc. Dans le même temps, des signes inverses indiquent l’apparition dans tel ou tel endroit du Tianxia du « sage caché » digne de recueillir le Mandat, celui qui va monter sur le trône. La perte du Mandat céleste marque à la fois l’illégitimité personnelle du souverain et l’épuisement de la Vertu de sa dynastie. La source de la légitimité est l’adéquation, manifestée par des signes clairs, entre le Ciel et la Terre ; la légitimité du pouvoir ne dérive pas de l’hérédité.

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Le territoire n’a pas de frontières au sens moderne, il est conçu comme un espace différencié : il y a, au centre, le Fils du Ciel en son palais ; puis en carrés concentriques, le domaine royal ; le territoire des seigneurs reconnaissant la suzeraineté du Fils du Ciel ; les royaumes des peuples soumis ; les zones où errent les barbares ; puis les régions inconnues, les Quatre Mers. La Vertu du roi rayonne du centre vers la périphérie, en s’atténuant progressivement ; sans agir, le roi conduit parfaitement par sa seule Vertu, sa rectitude morale, tout ce qui est sous le Ciel et, au-delà, les mondes extérieurs. C’est cette conception idéale qui guide les philosophes et les conseillers des premières dynasties historiques, Shang et Zhou (1121-256 av. notre ère). C’est à elle que se réfèrent les lettrés confucéens à partir du VIe siècle av. notre ère, alors même que les conditions historiques et politiques sont bien différentes de cet âge d’or postulé.

Au début de la période des Royaumes Combattants, vers le milieu du Ve siècle av. notre ère, le Tianxia a changé de configuration. Le Fils du Ciel, le roi des Zhou, n’a plus aucun pouvoir temporel. Il ne règne plus que sur le minuscule territoire que ses puissants vassaux ont bien voulu lui laisser ; ils ne lui reconnaissent qu’une prééminence spirituelle. Ces grands seigneurs, qui portent le titre de duc, avant de prendre les uns après les autres celui de roi, ont construit des États puissants en absorbant progressivement les principautés les plus faibles tout en résistant à leurs propres vassaux. Ces États, les sept Royaumes combattants, luttent violemment les uns contre les autres. Ils forment cependant une confédération informelle, qui se considère politiquement et culturellement comme essentiellement différente du reste du monde. La rupture fondamentale vient de l’adoption du légisme comme idéologie d’État par le duché du Qin.