La liberté est, avec l'Egalité, l'Individu et la Raison une des valeurs cardinales de la modernité. Symbole de la République, le mot Liberté est gravé - avant même celui d'Egalité et de la Fraternité - sur le fronton de toutes les mairies françaises. C'est la valeur fondatrice de l'Amérique, comme la rappelle aux nouveaux arrivants la statue de la Liberté qui trône à l'entrée du port de New York.
En quatre siècles, la conquête des libertés a soufflé sur l'Occident sous différentes formes : libertés intellectuelles, libéralisme politique et économique, émancipation individuelle (choix libre du conjoint, libération de la femme, temps libre, liberté sexuelle, etc.).
On peut retracer l'histoire de l'Occident sous l'angle d'un «grand récit»: celui de la libération progressive de l'individu des contraintes qui pèsent sur sa destinée.
Mais un tel récit à quelque chose de mythique : d'une part, l'histoire ne fut jamais linéaire, ni continue. D'autre part, au fil de ses conquêtes, on a pris conscience que la liberté comportait aussi des risques pour l'équilibre social et qu'il fallait peut-être en limiter l'étendue. Enfin, on s'interroge même aujourd'hui sur le poids que trop de liberté fait aussi peser sur l'individu.
On peut donc suivre le cheminement de la liberté en Occident à travers ses conquêtes avant d'en explorer les tourments.
Un mythe conquérant
Les premiers grands combats pour les libertés - religieuses, politiques, puis économiques - naissent en Europe du nord au xviie siècle. Les Provinces-Unis (aujourd'hui les Pays-Bas) furent l'un des berceaux de cette histoire. « Connaissez-vous un autre pays où l'on puisse jouir d'une liberté si entière ? » écrira Descartes. C'est en effet dans ce pays que trouvent alors refuge les philosophes qui, comme Descartes, Spinoza, Locke, sont en butte à la censure de l'absolutisme monarchique et à l'autorité de l'Eglise catholique.
Les Provinces-Unies, pays protestant, est l'un des premiers pays au monde à s'être doté d'une république respectueuse des droits de l'individu où le pouvoir des gouvernants est contrebalancé par un parlement. C'est le pays où règne la tolérance religieuse et où les idées peuvent s'exprimer librement. Les Provinces-unies sont aussi un des foyers du capitalisme naissant. Le libre-échange trouve ici un terrain privilégié : pas de taxes et d'entraves qui freinent le déploiement des marchés et du commerce.
Libertés politiques, libertés de pensée, libertés économiques : tels sont les trois visages du libéralisme qui va bientôt se répandre à partir de ce foyer sur le continent européen en Amérique. Rappelons quelques étapes de ce processus.
John Locke, le père du libéralisme politique, fut justement exilé en Hollande avec son protecteur Lord Aschley, comte de Shaftesbury. C'est là qu'il a rédigé ses Lettres sur la tolérance (1689), puis son Traité du gouvernement civil (1690). Dans ces écrits, il énonce les bases du libéralisme politique : le but de l'organisation politique n'est pas la puissance et la gloire de l'Etat mais de permettre aux individus de vivre selon leur bon vouloir ; les individus sont libres de penser, croire, circuler, organiser leur vie comme ils l'entendent dès lors que la liberté d'autrui n'est pas menacée; la division des pouvoirs (entre autorité religieuse et politique, entre exécutif et législatif) constitue, enfin, une garantie contre la tendance à l'absolutisme du pouvoir. Ces principes vont, peu à peu, conquérir tout l'Occident. Sur le plan des idées, une lignée de penseurs - de Montesquieu à Tocqueville - va s'attacher à en déployer les conséquences 1. Sur le terrain institutionnel, ils vont s'ancrer dans le droit et les pratiques. En Angleterre, les libertés publiques s'imposeront par des voies graduelles. La loi sur L'habeas Corpus, imposée dès 1679, qui protège l'individu contre les arrestations arbitraires va garantir les libertés fondamentales des personnes contre l'arbitraire du pouvoir. Aux Etats-Unis, la liberté sera l'un des piliers de la constitution de 1776 2. En France, l'avènement des libertés publiques sera plus chaotique. La Déclaration des droits de l'homme de 1789 en énonçait les principes. Mais, après les épisodes de la Terreur, de l'Empire, de la Restauration, c'est au cours du xixe siècle que se mettent en place de grandes lois sur les libertés : abrogation de l'esclavage en 1848, loi sur la liberté de la presse (loi du 29 juillet 1881), sur la liberté de réunion (loi du 30 juin 1881), sur la liberté syndicale (loi du 21 mars 1884), sur la liberté d'association (loi du 1er juillet 1901).