Bernard Lavallé a rédigé de nombreux livres sur l’histoire de l’Amérique latine, des biographies du conquistador Francisco Pizzaro et du prêtre militant Bartolomé de Las Casas, comme des synthèses des expéditions des conquistadores et de l’évangélisation des Amérindiens. Ses travaux éclairent le passé de populations qui comptent aujourd’hui pour le quart de la Chrétienté. Si les Amérindiens en constituent une part négligeable, leur histoire méconnue agit comme un révélateur de cette christianisation opérée à la période coloniale.
Porter le message du Christ à ceux qui l’ignorent, telle est la mission que l’Espagne se donne lorsqu’elle commence la conquête des Amériques à partir de 1492. Mais comment la mise en œuvre de cet objectif se traduit-elle auprès des Amérindiens ?
Dans les textes qui autorisent les conquêtes – car elles doivent l’être préalablement par la couronne espagnole –, il est précisé que la religion chrétienne sera propagée sur les territoires conquis. C’est pourquoi des ecclésiastiques participent souvent aux expéditions militaires. Ils assurent à la fois la vie spirituelle des conquistadores et les premiers pas de l’évangélisation des Indiens.
Au début, entre 1492 et les années 1510, l’aspect militaire va prévaloir. Tant que les conquêtes ne sont pas établies, il n’y a pas évangélisation. Elle ne commence que dans un second temps, lorsque l’État espagnol met en place une administration et une structure ecclésiastique qu’il contrôle en vertu d’un accord avec la papauté.
Bartolomé de Las Casas, avec ses plaidoyers en faveur des Amérindiens, exerça-t-il une réelle influence ?
Bartolomé de Las Casas est d’abord lui-même un colon. Il a des terres, sur lesquelles il cherche de l’or, dans la vega Real, la grande vallée aurifère de Saint-Domingue. En parallèle, vers 1506, il devient prêtre. À l’époque, les prêtres peuvent mener une vie quasi séculière. Mais Las Casas a vu la conquête, ses abus, le travail forcé des Indiens, les violences, la chute vertigineuse de la population indigène. En 1515, alors que la conquête de Cuba est engagée, il décide de consacrer sa vie à la défense des Indiens.
S’il est le plus connu dans ce rôle, d’autres avocats des Indiens se sont exprimés. Des religieux, presque tous dominicains, tel Francisco de Vitoria. Ils sont soutenus par un courant d’opinion. On sait que les cours de Vitoria attiraient les foules. En outre, Las Casas n’aurait rien pu faire sans le soutien constant de Charles Quint. Lorsque celui-ci abdique en faveur de son fils Philippe II, en 1556, Las Casas est réduit au silence.
On imagine les colons hostiles à Las Casas…
Les colons lui sont opposés, car il exige que l’on leur retire le service des Indiens. Il est surtout en lutte contre les encomenderos. L’encomienda est un système qui « recommandait » (d’où son nom) un certain nombre d’Indiens à un Espagnol qui bénéficiait ainsi de corvées de ces Indiens. Ils lui payaient en plus un tribut. En échange, l’encomendero était chargé de leur évangélisation, de payer un curé pour leur faire le catéchisme. Mais ce dernier volet était très mal exécuté. Il était bien connu que les encomenderos abusaient à tous égards des Indiens qui leur étaient confiés.