Aux États-Unis, se déclarer humaniste ne garantit pas de passer pour un type plein de bonnes intentions. Ce serait plutôt le contraire car, depuis l’année 2008, les « humanistes » dont on parle le plus là-bas sont des athées, soit, dans l’opinion majoritaire, des égoïstes, des immoraux et des infréquentables. Constitués en mouvement, ils revendiquent une autre image, tout en se permettant d’attaquer de front la foi et les églises en général. Est-ce vraiment compatible ?
À la tête de ce courant, on trouve une poignée de philosophes, de scientifiques et d’essayistes qui se sont taillé des succès de librairies inattendus dans ce pays réputé pour sa religiosité persistante. En tête du palmarès, le biologiste britannique Richard Dawkins, avec The God Delusion, publié en 2006, a dépassé le million et demi d’exemplaires (1). Puis viennent le psychologue Sam Harris (The End of Faith, primé en 2005), le philosophe Daniel Dennett (Breaking the Spell, 2006) suivis par le physicien Victor Stenger (God, the Failed Hypothesis, 2007) (2) et le virulent Christopher Hitchens (God Is not Great, 2007) (3). Point commun : leur résolution à déterrer la hache de guerre contre le même ennemi, mais avec des moyens parfois différents. Voyons d’abord ce qu’il en est du côté des scientifiques.
Depuis Charles Darwin, une vive animosité oppose la théorie de l’évolution à la genèse biblique. Le sujet, aux États-Unis, a donné lieu, en 1925 et à d’autres reprises, à de fameux procès intentés par des chrétiens créationnistes contre l’enseignement de l’évolution, puis contre sa place exclusive. Hors contexte éducatif, une sorte de paix des braves semblait avoir été conclue. Les savants évolutionnistes, à l’exemple de Stephen Jay Gould, s’en tenaient à une doctrine appelée « NOMA » (non overlapping magisteria), selon laquelle la Bible et la science, relevant de régimes de vérité différents, ne devaient pas être opposables. Le Vatican et de grandes églises protestantes se sont rangés à cet avis, voire pour le premier, ont reconnu la valeur de Darwin. Les sectes (mormons, adventistes, etc.) et les croyants conservateurs n’ont jamais accepté cela et, dans les années 1970, ont rompu la trêve en répandant la doctrine d’un certain Charles Morris, la « science de la création », qui deviendra, dans les années 1980, l’intelligent design.
Un être intelligent a-t-il fait le monde ?
Sans entrer dans le détail, ces doctrines affirment que, pour des raisons objectives, il est impossible que le monde vivant ait pu advenir sans un créateur intelligent. Puisque démontrable, la théorie prétend être enseignée à l’école. D’où de nouvelles tentatives, à vrai dire sans succès, mais une influence accrue dans certains États, et dans les sphères du pouvoir républicain.
C’est donc, au départ, contre cette ambition à rivaliser avec l’autorité scientifique que les « nouveaux athées » sont montés au créneau. R. Dawkins est un débatteur brillant, mais en général centré sur sa spécialité, l’évolution. Son manifeste, lui, s’en prend à l’article premier de la foi : l’existence de Dieu. Question oiseuse, dira-t-on, dont philosophes et théologiens ont discuté en vain pendant des siècles. Pas pour R. Dawkins, ni pour V. Stenger qui, prenant les créationnistes au mot, proclament qu’un examen rationnel de l’hypothèse de Dieu est possible, et même nécessaire. Et voici ce que cela donne.