Comment des individus en viennent-ils à se droguer ? Et comment s’y prennent-ils pour tenter d’en sortir ? Voilà les questions simples auxquelles le sociologue Patrick Pharo a cherché à comprendre en allant interroger 25 drogués parisiens et new-yorkais. Ils sont âgés de 25 à 75 ans, ont tous été sévèrement dépendants à l’alcool ou à l’héroïne, la cocaïne ou la marijuana. Et ils ont tous cherché à décrocher avec plus ou moins de succès.
La toxicomanie peut s’expliquer par de multiples raisons. Certains auteurs évoquent des conflits psychologiques intérieurs, d’autres des prédispositions héréditaires ou des mécanismes neurologiques, les derniers soulignent l’influence du milieu social. Toutes ces explications ont comme point commun d’envisager la toxicomanie en termes de cause agissant sur les personnes. P. Pharo aborde les choses sous un autre angle : celui des choix et des valeurs des drogués, qui ne sont pas simplement des victimes inconscientes de leur passé, de leur milieu ou de leurs gènes. Leur choix initial ainsi que leur décision d’en sortir sont aussi guidés par des actions volontaires, des décisions conscientes et des valeurs précises.
James O. (73 ans, ancien cadre commercial), devenu alcoolique vers 17 ans, raconte que son père était déjà alcoolique. De même que celui de Mary Q. (55 ans) était dealer. Ce lourd passé a forcément influencé leur entrée dans la drogue. Mais la plupart des drogués insistent également fortement sur le fait qu’ils ont fait des choix, pris des décisions et commencé à consommer sans que personne les y pousse. Parfois c’était à l’encontre de leur milieu et pour s’en libérer. Il existe, chez la plupart d’entre eux, une claire volonté de transgression. Ils ont agi très volontairement, sans pression extérieure.On ne tombe pas dans la drogue par mégarde. À un moment donné, l’individu fait face à une décision : il doit faire une démarche pour se procurer de la drogue, refuser ou accepter une proposition. À ce moment, il soupèse le pour et le contre. Et s’il a cédé une fois, rien ne lui impose de recommencer. Le goût de la liberté et la recherche du plaisir sont les premiers motifs des premiers essais. Souvent ces premiers pas font l’objet d’une évaluation plus ou moins lucide du risque. L’auteur en déduit que l’entrée dans la dépendance n’est pas liée à une faille de la volonté. C’est même plutôt une « faille de la liberté », comme l’est un accident de voiture. On ne choisit pas d’avoir un accident, mais on choisit toujours consciemment de conduire et de prendre des risques.