La dyslexie repensée

La dyslexie est un trouble spécifique de l'acquisition de la lecture. S'il est de mieux en mieux connu, détecté et pris en charge, son origine reste très discutée malgré l'abondance des travaux en sciences cognitives sur la question.

On entend parfois dire « mon enfant est dyslexique », « il fait des fautes d'orthographe », ou encore « il inverse des lettres » voire « il ne parle pas bien ». Pour éviter que le terme dyslexie ne devienne le fourre-tout de l'échec scolaire, il faut savoir de quoi on parle : quels sont les enfants dont on peut dire qu'ils sont dyslexiques ? Qu'est-ce que savoir lire et apprendre à lire signifient ? Mais avant tout, on peut déjà se demander quand le concept de dyslexie est apparu.

Petit aperçu historique

Le premier cas a été publié en 1896 par le médecin anglais W. Pringle-Morgan : il s'agit de Percy, un jeune adolescent britannique de 14 ans qui, aux dires de son instituteur, aurait été le meilleur élève de la classe si l'enseignement avait été seulement oral. D'autres cas de même type sont rapportés à la fin du xixe siècle. On parle alors de « cécité verbale » congénitale, ce terme venant d'un neurologue français, Jules Déjérine, qui l'a utilisé en 1892 pour décrire les troubles de la lecture survenant chez l'adulte à la suite d'une lésion cérébrale. Actuellement, ces deux types de troubles de la lecture sont respectivement dénommés dyslexie du développement et dyslexie acquise de l'adulte. Dans la suite du texte, on parlera uniquement de la dyslexie du développement.

Des personnages célèbres, tels que Léonard de Vinci, Galilée, Auguste Rodin, Thomas Edison et Albert Einstein sont supposés avoir été dyslexiques. Du fait de la réussite observée chez ces dyslexiques dans des domaines non-liés directement au langage, certains chercheurs ont évoqué le fait qu'il s'agirait en fait d'une « pathologie de la supériorité ».

De ce bref historique, on pourrait tirer la conclusion que la dyslexie de l'enfant est apparue quand l'enseignement de la lecture s'est généralisé, et donc qu'elle n'est que la conséquence d'un mauvais enseignement. C'est perdre de vue que ce concept est aussi apparu à la suite d'études sur les troubles du langage en général, études effectuées par des équipes différentes, les plus célèbres étant celles de Paul Broca en France (1865) et de Carl Wernicke en Allemagne (1874) qui ont été les premières à établir que le fonctionnement du langage dépendait de zones spécifiques de l'hémisphère gauche du cerveau, zones que les travaux actuels signalent souvent comme étant déficitaires chez des enfants dyslexiques 1.

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Autour de la première moitié du xxe siècle, les études sur la dyslexie se sont développées essentiellement aux Etats-Unis et, en Europe, quasi uniquement dans les pays scandinaves, particulièrement au Danemark où a été créé à la fin des années 30 le premier centre de diagnostic et d'enseignement pour dyslexiques. Un des plus influents chercheurs de cette période fut Samuel T. Orton, qui mit le doigt sur une idée encore très populaire, à savoir que les dyslexiques sont des enfants qui font des confusions entre des lettres proches visuellement.

Le renouveau des études sur la dyslexie est dû à l'émergence, autour des années 70, de disciplines nouvelles telles que la psychologie cognitive et les neurosciences. Le laboratoire Haskins aux Etats-Unis a joué un rôle pionnier, avec les travaux d'Isabelle Liberman qui a établi que la lecture n'est pas simplement une activité visuelle comme le supposait S.T. Orton, mais avant tout une activité langagière impliquant la mise en relation du langage écrit avec le langage oral. Les premiers travaux de neurosciences sur la dyslexie sont également dus à une équipe américaine, celle de Norman Geschwind et d'Albert Galaburda, qui a mis en évidence le fait que le cerveau des dyslexiques présente des déficiences spécifiques dans les zones du langage.

Qui sont les dyslexiques ?

Qu'en est-il de la situation française dans ce contexte international ? En dehors du fait que le terme de dyslexie a probablement été introduit au cours du premier Congrès international de psychiatrie de l'enfant à Paris, en 1937, il faut reconnaître que la France a longtemps été totalement absente de la recherche internationale dans le domaine 2. En France, des débats idéologiques ont violemment opposé les tenants des courants « orthophoniste » (qui se situe dans le sillage de la tradition française de neuropsycholinguistique) et neurobiologique, qui ont tous deux contribué à la diffusion des recherches internationales, à ceux qui supposent que la dyslexie provient d'un trouble de la personnalité ou encore qu'elle n'existe pas, l'échec scolaire s'expliquant principalement par des facteurs sociaux ou éducatifs 3.

Le fait qu'on trouve des dyslexiques dans tous les milieux, y compris parmi les plus favorisés, et quelles que soient les méthodes d'enseignement utilisées, jette un doute sur les explications sociologiques et pédagogiques de la dyslexie. En ce qui concerne les explications psychologiques, les troubles de ce type relevés chez bon nombre de dyslexiques sont surtout la conséquence, et non la cause, de leur échec scolaire. En effet, un enfant intelligent (on ne parle de dyslexie que quand l'intelligence est normale) qui n'arrive pas à apprendre à lire ne peut que mal vivre cette situation. L'intelligence n'est qu'un des critères, parmi d'autres, qui permet de définir la dyslexie.