La fabrique des bébés : vers une procréation 2.0 ?

Depuis 1978, 5 millions d’humains sont nés par fécondation in vitro. De plus en plus de bébés naissent par le biais de « mères porteuses » et d’autres techniques de PMA se profilent à l’horizon.

Louise Brown : ce nom vous dit-il quelque chose ? C’est celui de la Britannique qui, en 1978, fut le premier « bébé-éprouvette » au monde ; la naissance d’Amandine, premier bébé-éprouvette made in France, remonte, elle, à 1982… Plus de trente ans déjà ! Depuis, l’assistance médicale à la procréation (AMP), alias procréation médicalement assistée (PMA), a eu tout le temps de se développer. L’AMP peut faire intervenir une insémination artificielle ou, comme dans le cas de Louise et d’Amandine, une fécondation in vitro (fiv) – laquelle peut être obtenue par simple mise en présence des cellules reproductrices dans un milieu artificiel approprié, ou, avec une meilleure efficacité, par injection directe d’un spermatozoïde dans un ovocyte (ICSI pour intracytoplasmic sperm injection). L’ensemble fécondation in vitro et transplantation embryonnaire – dans l’utérus – est désigné par l’acronyme fivete.

Qu’elle s’inscrive ou non dans le cadre d’un projet conjugal, l’AMP est désormais loin d’être anecdotique, en particulier pour ce qui est de la fiv : les Terriens conçus en laboratoire sont aujourd’hui plus de 5 millions. En France, en 2008, on estimait déjà à quelque 200 000 le nombre d’enfants ayant été conçus par fiv. Et leur pourcentage ne cesse de croître par rapport à l’ensemble des naissances, en lien, entre autres, avec les troubles de fertilité rencontrés par un nombre croissant de couples. Comme l’indique le rapport annuel 2014 de l’Agence de la biomédecine, 84 126 tentatives d’AMP avec fiv ont été réalisées en 2013. La même année voyaient le jour 23 651 bébés conçus grâce aux techniques d’AMP – ce qui représente 2,9 % des naissances en France. Autrement dit, environ un enfant sur 35 fréquentant actuellement la crèche ou la maternelle n’a pas été engendré par un rapport sexuel.

Dans nombre de pays d’Europe – dont la France, l’Allemagne ou l’Italie –, l’AMP reste interdite pour les couples de même sexe. Elle est en revanche possible en Belgique ou en Espagne, par exemple. Selon Pierre Jouannet, membre de l’Académie nationale de médecine : « Dans les pays où elles sont autorisées, comme la Grande-Bretagne, la Suède ou les États-Unis, les procréations médicalisées avec spermatozoïdes d’un donneur pratiquées chez les femmes seules ou homosexuelles connaissent un développement extraordinaire, au point de devenir plus nombreuses que celles faites pour les couples hétérosexuels stériles.  1 »

« Freeze your eggs, free your career »

Parmi les possibilités offertes en amont de la fiv, la vitrification (congélation ultrarapide) des ovocytes – technique permettant une préservation optimale de leur aptitude à la fécondation –, en vue d’une utilisation des années plus tard, à l’heure où la fertilité décline : une manière de mettre en pause l’horloge biologique. Dans quel but ? « Freeze your eggs, free your career » (« Congelez vos ovocytes, libérez votre carrière »), affichait en avril 2014 la couverture de l’hebdomadaire américain Bloomberg Businessweek. La même année, Facebook et Apple annonçaient leur intention de proposer à leurs employées le financement d’une telle congélation, histoire de leur permettre d’optimiser leur carrière en mettant en veilleuse leur projet d’enfant. Ce genre de « pression douce » en dit long sur la conception 2.0 de la vie privée dans la Silicon Valley… Celles qui choisiront la maternité se verront-elles signifier par leur direction qu’il s’agit là d’un choix néfaste à leur avenir professionnel ?