La formation des enseignants

De l’École normale au 19e siècle aux Inspés du 21e siècle, la formation des enseignants français n’a cessé d’évoluer. Qui sont les nouveaux enseignants ? Assiste-t-on vraiment à une crise du recrutement ? Quels sont les points faibles de la formation aujourd’hui ? Quelles pistes pour l’améliorer ?

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Les enseignants sont-ils prêts pour leur premier poste ?

Dès leurs débuts, les instituteurs, aujourd’hui appelés « professeurs des écoles », évoquent « un écart entre théorie et pratique 1 ». Comment obtenir le silence ? Comment bien préparer son cours ? Comment gérer les tâches administratives ? Face à ces situations concrètes, il n’existe pas de recette miracle. Le problème est récurrent depuis des dizaines d’années.

Les savoirs universitaires sont censés aider les enseignants à prendre du recul sur leurs pratiques, ce qui semble utile dans un métier centré sur l’humain, avec ce qu’il a d’imprévisible et de complexe. Pour autant, les futurs enseignants « préfèrent les conseils à la formation, veulent savoir se comporter dans la classe, parler aux élèves, poser leur voix et se déplacer », note Patrick Rayou, chercheur en sciences de l’éducation 2. Les futurs enseignants montrent donc un certain désintérêt pour les savoirs universitaires pendant leur formation (sciences et histoire de l’éducation, psychologie, sociologie, etc.). Ces derniers sont perçus comme peu utiles dans la classe, au moins depuis les années 1990. « L’enseignant est confronté à une complexité qui rend parfaitement rationnelle, de son point de vue, sa relative fermeture aux sciences de l’éducation », expliquait alors le sociologue Philippe Perrenoud 3.

Les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (inspés), créés en 2019, tentent d’accompagner au mieux les débuts des enseignants. Ils y entrent après avoir obtenu la licence (diplôme de niveau bac + 3), pour deux ans. La première année en inspé est avant tout consacrée à la préparation du concours, avec quelques stages d’observation. Une fois le concours obtenu, la seconde année propose une formation en alternance : deux jours par semaine en classe, deux jours à l’inspé. Les apports théoriques des sciences humaines et sociales y ont encore leur place, mais l’accent est mis sur le terrain. Cette proximité revendiquée avec la pratique résout-elle le problème ? Pas vraiment.

En effet, cette « théorie » classée comme incompatible avec la pratique ne désigne pas seulement les savoirs universitaires. Les ressources didactiques proposées par les formateurs sont également jugées trop « théoriques » 4. Ainsi, les séquences d’enseignement, qui prévoient la transmission d’une notion du programme aux élèves, sont souvent innovantes… et donc rares sur le terrain. Très détaillées, elles cherchent à interroger systématiquement les conceptions initiales des élèves pour les mener pas à pas à intégrer de nouvelles notions, tout en prévoyant des évaluations régulières pour faire le point sur les acquis. Face à cette complexité, les préparations des collègues des classes voisines apparaissent plus aisées à mettre en œuvre.

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Faut-il en conclure que la formation initiale est inutile ? En 2014, l’enquête du sociologue Pierre Périer 4 sur la façon dont les enseignants construisent leurs pratiques tempère les critiques : les jeunes enseignants tirent profit de certains cours ou de rencontres avec d’autres professionnels durant leur formation. À mesure qu’ils surmontent les épreuves du terrain, ils réintègrent certains contenus, notamment universitaires, à leur réflexion sur le métier.

Le recrutement est-il en crise ?

Chaque année, des centaines de postes d’enseignants ne sont pas pourvus. D’où une difficulté à remplacer les enseignants absents et un recours croissant aux contractuels. Depuis 2013, le nombre de candidats baisse. Dans le premier degré, les académies qui en manquent le plus sont celles dans lesquelles la demande est la plus forte : Créteil et Versailles (les deux académies les plus peuplées). Malgré des taux d’admission élevés (65 % à Créteil, 70 % à Versailles), 20 % des postes proposés au concours 2018 sont restés non pourvus. Dans le second degré, certaines disciplines peinent à recruter, en particulier en mathématiques (10 % des postes non pourvus au concours 2018) et en allemand (23 % des postes non pourvus).

Selon les analyses de la Fondation Jean-Jaurès, ces difficultés seraient dues en partie à l’exigence d’un master pour les enseignants : « La réforme de la masterisation a conduit à une diminution du nombre de candidats de l’ordre de 50 % entre 2011 et 2013, puis de 40 % entre 2014 et 2017 5. » D’autres facteurs peuvent expliquer le manque d’attrait de la profession : des salaires parmi les plus bas des pays de l’OCDE, une complexification du métier (tâches administratives, multiplication des injonctions, changements de programmes), ou une première affectation difficile (plus de 30 % des enseignants affectés en éducation prioritaire ont moins de deux ans d’expérience).

Pour autant, le problème mérite d’être nuancé. Dans le premier degré, exceptées les académies de Créteil et Versailles, presque tous les postes sont pourvus – malgré un nombre de candidats très variable, de 6,8 pour un poste à Nantes à 2,2 à Amiens.

Dans le second degré, les candidats ne manquent pas dans toutes les matières. Pas de crise en histoire-géographie ni en sciences de la vie et de la terre, par exemple. Au total, moins de 6 % des postes proposés au capes 2018 sont restés vacants.