L'autoformation est une notion passionnante et bizarre. On s'en réclame ou on la décrie, mais on y est rarement indifférent. Pis encore, quand on la défend, c'est d'un bout à l'autre du spectre idéologique, et avec des arguments opposés. Pour les uns, l'autoformation « assistée » est la forme idéale d'une éducation progressiste, voire radicale, des adultes, au service de l'émancipation des sujets sociaux. Pour d'autres, c'est le bras armé du libéralisme éducatif : les dirigeants d'entreprise, particulièrement de PME, ne cachent pas leur sympathie pour cette idée dont leur propre parcours d'autodidacte semble avoir souvent fait la preuve du bien-fondé...
Notion ambiguë en même temps que fédératrice, l'autoformation rassemble, aux risques et périls de ceux qui l'utilisent, plusieurs conceptions différentes, parfois contradictoires : toute une galaxie de concepts et de pratiques évolue autour de l'idée d'autonomie en formation. On peut ainsi en concevoir une version « intégrale », autodidacte, entièrement coupée des institutions éducatives, ou au contraire, en avoir une vision « éducative », liée à l'essor des formations ouvertes ou individualisées ; on peut identifier une autoformation « sociale », qui se déploie à travers les thèmes de « l'organisation apprenante » ou des réseaux d'échange de savoirs ; en observer la déclinaison « existentielle » à travers les pratiques d'histoire de vie ou de formation « expériencielle », ou encore en repérer une figure « cognitive », centrée sur les dimensions psychologiques de l'apprentissage autonome 1...
En deçà des nuances qui séparent ou rapprochent ces différentes conceptions, quatre séries de raisons peuvent expliquer la vogue actuelle de l'autoformation, de la plus directement perceptible aujourd'hui à la plus enfouie dans notre culture.
A une époque où les sources de financement de l'effort de formation ont tendance à stagner, voire à décroître, face à des besoins de compétences en développement permanent, tous les gestionnaires de la formation, privée comme publique, cherchent à augmenter la productivité de leurs actions (c'est-à-dire à en améliorer les résultats à coût fixe ou en diminuer les coûts à résultat identique).
Les dispositifs pédagogiques nouveaux, qu'on les appelle « ouverts », « flexibles », « individualisés », « d'autoformation », sont en effet d'abord conçus comme des vecteurs d'augmentation de la productivité pédagogique. C'est là, qu'on le veuille ou non, la première raison du succès de ces formules nouvelles basées sur l'idée d'« apprendre par soi-même ». Selon la Délégation à la formation professionnelle, les formations ouvertes, en autoformation ou avec tutorat, à domicile, dans l'entreprise ou en centre de formation, font entrer dans une « nouvelle économie de la formation », cette dernière se révélant progressivement une « dépense à optimiser » 2.