Les grandes économies occidentales seraient depuis un an le théâtre d’une vague de démissions d’une ampleur jusque-là inconnue, aussitôt baptisée « grande démission », par analogie avec la grande dépression des années 1930. De fait, le nombre de démissions est en France passé, par paliers successifs, de 346 000 au quatrième trimestre 2020 à 553 000 au troisième trimestre 2022 1. Le taux de démission, qui exprime le rapport entre le nombre de démissions et le nombre de salariés du secteur privé, a, sur la même période, crû de 1,90 % à 2,87 %.
L’originalité du phénomène ne réside toutefois pas dans son ampleur. Taux de démission et taux de chômage étant inversement proportionnels, chaque période de reprise économique et de baisse du taux de chômage – ici, la sortie des mesures de restriction liée à la pandémie de covid-19, ou plus tôt, la fin de la « grande récession » de 2008 – coïncide avec un nombre croissant de démissions, les salariés espérant trouver dans un autre emploi de meilleures conditions de rémunération et de travail. Aux États-Unis, c’est la dimension contracyclique qui a surpris : alors que le début de la pandémie avait induit des vagues importantes de licenciements et une montée du taux de chômage, les salariés ont paradoxalement continué à quitter leur emploi tout au long de la crise sanitaire – en dépit, donc, de la pénurie persistante de main-d’œuvre et du taux de chômage élevé.
En France, le taux de démission s’est effondré au début de la pandémie (1,46 % au deuxième trimestre 2020 avec 263 000 démissions), pour repartir durablement à la hausse à partir du deuxième trimestre 2021. L’impact du covid ne doit toutefois pas être surestimé, car le taux de démission croissait déjà régulièrement depuis plusieurs années.
Effet d’aubaine ou remise en question ?
Comment expliquer un tel phénomène ? L’effet d’aubaine est probable 2 : la reprise économique crée des opportunités d’embauche, notamment dans les secteurs où la pénurie de candidats était déjà sensible : commerce, hôtellerie-restauration, informatique, santé et médico-social, etc. Et en effet, 80 % des démissionnaires quittent un emploi pour signer à brève échéance un nouveau contrat à durée indéterminée (CDI). S’installe alors une spirale qui renforce les tensions sectorielles de recrutement. Il s’agit pour les entreprises d’améliorer leur marque employeur pour fidéliser leurs salariés et attirer les candidats, en rivalisant d’avantages, rémunératoires notamment.