La grande transformation du sommeil

La grande transformation du sommeil, Roger Ekirch, Amsterdam, 2021, 200 p., 17 €.

Dormir la nuit d’un seul trait est-il naturel ? En montrant que se relever à minuit était une habitude largement répandue dans l’histoire de l’Occident préindustriel et peut-être du monde, Roger Ekirch a soulevé un lièvre qui met en cause le « sommeil consolidé », et le pourquoi de son invention.

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Le troisième vendredi du mois de mars est la date, depuis vingt ans, d’une célébration : celle de la journée internationale du sommeil. Est-on, pour autant, autorisé à ne pas quitter son oreiller ce jour-là ? Pas particulièrement, et aucune invitation au repos ne figure au programme du vendredi 19 mars 2021, chargé de nombreuses conférences (en ligne) de spécialistes du sommeil, de chronobiologie et d’éducation infantile. Aux problèmes habituels comme l’insomnie, l’apnée du sommeil et autres troubles s’ajoutaient cette année certaines préoccupations du moment : « Comment adapter son sommeil à la crise sanitaire », ou encore « Comment faire face aux futurs objets connectés. »

On ne pouvait rêver meilleure occasion de traduire et publier ce petit recueil des œuvres de Roger Ekirch, historien et enseignant à l’Institut polytechnique de Virginie. Il se compose de deux essais écrits à près de quinze ans d’intervalle, mais dont les conclusions se complètent : le sommeil a une histoire en Occident, et ce n’est pas celle que l’on attendait.

Lorsque, en 2001, R. Ekirch publiait À la recherche du sommeil perdu, son initiative pouvait prêter à sourire. Dormir n’est-il pas un besoin naturel auquel l’humanité a répondu en s’éveillant le jour et dormant la nuit ? Et si, de nos jours, le sommeil est un objet de souci, n’est-ce pas que la civilisation d’aujourd’hui a perturbé ce rythme naturel ?

L’enquête de R. Ekirch, qui porte sur l’Angleterre, l’Europe et l’Amérique préindustrielles, exhume une réalité différente. Au fil d’une documentation vagabonde (journaux intimes, romans, articles de presse, traités de médecine, rapports de justice), il bute sur deux expressions : « premier sommeil » et « second sommeil ». Leurs occurrences ne sont pas si nombreuses, mais sont étalées sur des siècles (la première se trouve dans Homère), depuis certains auteurs latins jusqu’au seuil du 20e siècle.