Dès l’Antiquité, les gouvernants s’entourent de savants, dont les découvertes assoient leur pouvoir. La protection d’un prince ou d’un roi, est pour eux un moyen de mener à bien leurs travaux, à condition de conserver leur autonomie. À partir du 16e siècle, en France, le pouvoir royal renforce sa mainmise et ouvre l’histoire d’une relation écartelée entre besoin de pilotage et nécessaire indépendance. « Cartographier les frontières, étudier les ressources minières ou naturelles répond au souci de mieux connaître son territoire afin de l’administrer, l’exploiter ou le défendre », explique l’historien Jérôme Lamy, coauteur, avec Jean-François Bert, de Voir les savoirs : lieux, objets et gestes de la science (Anamosa, à paraître en septembre 2021).
En 1666 notamment, Colbert crée l’Académie royale des sciences dans ce but. La cour joue aussi un rôle important dans la diffusion des connaissances. « En qualité de personnes de bonne moralité, les nobles et le roi sont là pour attester des résultats de ces savoirs scientifiques », souligne J.F. Bert. À partir du 18e siècle, la reconnaissance de l’utilité économique et sociale de la science permet d’aller plus loin, explique la sociologue Caroline Lanciano-Morandat dans Le Travail de recherche (CNRS, 2019) : « L’État veut soutenir la recherche dans la mesure où elles peuvent déboucher sur des innovations, des nouvelles technologies et industries. »
La République des savants
Cette logique s’affirme au 19e siècle. Les pouvoirs publics vont s’appuyer sur la science pour gouverner. C’est la grande époque de l’hygiénisme. Sous l’Empire, l’instauration de normes sanitaires et sociales marque ainsi un tournant ; des conseils de salubrité mènent des enquêtes pour détecter les foyers épidémiques, par exemple. Dans le même temps, soucieux de comprendre comment bouge le corps social pour mieux en contenir les débordements, l’État invente l’enquête politique et statistique, qui donnera plus tard naissance aux sciences sociales.
Dans le dernier tiers du 19e siècle, les débats autour du financement de la science progressent en même temps que l’industrialisation. En 1868, la prise de position de Louis Pasteur en faveur d’un financement de la recherche par l’État joue un rôle important dans la création de l’École pratique des hautes études, et l’apparition de laboratoires de recherche en Sorbonne, rapporte l’historien Gabriel Galvez-Behar. Le modèle allemand (dit « humboldtien »), fondé sur l’alliance de l’enseignement et de la recherche, s’impose alors dans les universités françaises. Les républicains qui accèdent au pouvoir en 1870 font de la science une priorité. Cependant, jaloux de leur autonomie, les savants « ne conçoivent pas qu’une organisation, et plus encore une politique de recherche, soit élaborée – si toutefois elle s’avère nécessaire – par quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes », estime C. Lanciano-Morandat.