La longue marche de la démocratie

Sur le temps long, l’histoire de la démocratie a tout d’une contagion irrésistible. Ce succès n’est pas linéaire. Depuis son apparition, la démocratie s’est étendue par vagues successives entrecoupées de longs temps de stagnation voire de reculs.

Depuis quelques années, la démocratie semble en panne. Dans les sociétés mêmes qui l’ont inventée, nombre d’intellectuels se pressent à son chevet ou prophétisent son enterrement. Contre-démocratie, hiver de la démocratie, postdémocratie (1)… Les ouvrages parus récemment multiplient les titres au ton pessimiste, alarmiste voire apocalyptique. Dans les pays où la démocratie est émergente ou inexistante, elle ne fait plus rêver comme auparavant. Le consensus de Pékin, expression qui résume le modèle chinois de développement alliant libéralisme économique et autoritarisme politique, apparaît comme une alternative redoutablement séduisante au consensus de Washington alliant libéralisation économique et démocratisation. Alors la démocratie est-elle dépassée ? Serions-nous entrés sans nous en apercevoir dans l’ère de la postdémocratie ?

 

La contagion démocratique

À l’échelle de l’histoire, la démocratie ne semble pourtant pas sur le point de disparaître. Ces soixante dernières années, le nombre des démocraties a été multiplié par plus de 4, passant de 20 en 1946 à 89 en 2008 sur 193 États. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la démocratie ne concernait guère que l’Europe occidentale, l’Amérique du Nord et le Japon. Une première vague de démocratisation a eu lieu en Europe du Sud dans les années 1970, une deuxième dans les années 1980 en Amérique du Sud et dans une partie de l’Asie du Sud-Est, puis une troisième après la chute du mur de Berlin, dans l’ex-bloc soviétique. La démocratie est aujourd’hui installée dans les régions les plus prospères et les plus peuplées de la planète à une exception de taille près : la Chine et son 1,3 milliard d’habitants, puissance encore pauvre mais acteur géopolitique de plus en plus important. Selon l’organisation Freedom House, basée à Washington, qui mesure l’état des droits politiques et des libertés civiles dans le monde à travers une batterie d’indicateurs, 46 % de la population mondiale vit dans un pays « libre » en 2008 contre 25 % il y a une quinzaine d’années (2). Voici pour le quantitatif.

(1) Pierre Rosanvallon, Seuil, 2006 ; Guy Hermet, Armand Colin, 2007 ; Robert Charvin, Le Temps des cerises, 2006.(2) Freedom House, « Freedom in the World 2009 », disponible sur (3) Alain Caillé (dir.), La Découverte, 2006.(4) Jean Baechler, Calmann-Lévy, 1985.(5) Francis Fukuyama, Flammarion, 1992.