«L'intelligence, c'est ce que mesurent mes tests ». Alfred Binet (1857-1911) n'a jamais prononcé cette fameuse phrase qu'on lui attribue ironiquement. Mais c'est bien lui le véritable fondateur de la psychométrie, terme qui désigne l'ensemble des méthodes de mesure en psychologie.
Tout commence en 1904, lorsque le ministère de l'Instruction publique confie à ce chercheur en psychologie la mission d'« étudier les mesures à prendre pour assurer les bénéfices de l'instruction aux enfants anormaux ». Son premier travail consiste à mettre au point une méthode afin de repérer les enfants en difficulté. L'année suivante, il publie avec son jeune collaborateur Théodore Simon la première version du test Binet-Simon, appelée « Echelle métrique d'intelligence », dans laquelle sont présentées de multiples épreuves, permettant d'établir l'âge mental d'un enfant. Ce document précise, par exemple, qu'à cinq ans, un enfant « normal » peut comparer deux boîtes de poids différents, recopier un carré, répéter une phrase de six syllabes. Mais comme le souligne Olivier Martin, maître de conférences à la Sorbonne, son test ne mesure pas l'intelligence, au sens mathématique du terme 1. Binet estimait en effet que « les qualités intellectuelles ne se mesurent pas comme une longueur ». Ce n'est d'ailleurs pas lui l'inventeur du QI.
Le test d'A. Binet va connaître un grand succès, particulièrement aux Etats-Unis où il va subir une inflexion sensible. Il va progressivement perdre sa fonction d'aide au diagnostic pour devenir un instrument de mesure « objective » de l'intelligence. Deux auteurs vont particulièrement participer à cette diffusion de la psychométrie, Lewis M. Terman et Robert M. Yerkes.
Après la mort de Binet, L.M. Terman (1877-1956), professeur à l'université de Stanford en Californie, met au point, en 1916, le test Stanford-Binet, version révisée du Binet-Simon, dans lequel il introduit la notion de quotient intellectuel, élaboré quelques années auparavant par William Stern, un psychologue allemand.
La formule est simple :
Quotient intellectuel = Age mental x 100
Age réel
La raison d'être des tests d'intelligence change alors du tout au tout. Tandis qu'A. Binet souhaitait aider les enfants en difficulté, sans s'interroger sur l'origine de leurs différences, L. Terman affirme que celles-ci sont dues à l'hérédité et conseille de placer les déficients mentaux sous surveillance et de les empêcher de se reproduire. La Première Guerre mondiale fournit aux psychométriciens l'occasion d'une opération de grande envergure. R.M. Yerkes (1876-1956), président de l'Association américaine de psychologie, met en place un comité destiné à faire passer des tests d'intelligence aux recrues afin de déterminer la meilleure affectation pour chacun. Environ 1 750 000 personnes y sont soumises. R.M. Yerkes en tire cette conclusion surprenante : presque la moitié du contingent est composée de débiles mentaux (13 ans d'âge mental moyen) ! Une fois la guerre terminée, ces tests militaires vont avoir une grande influence sociale, en jouant un rôle dans la mise en place de la loi américaine sur la restriction de l'immigration de 1924. S'appuyant sur les résultats de ces tests, C.C. Brigham, psychologue à l'université de Princeton, avait publié en 1923 Une étude de l'intelligence américaine, ouvrage dans lequel il affirmait que l'intelligence moyenne des vagues successives d'immigrants s'était progressivement abaissée depuis une vingtaine d'années. Il préconisait donc une immigration non seulement restrictive, mais aussi sélective, certaines « races » étant plus dégénérées que d'autres.