Gilets jaunes, grèves de la SNCF ou contre les retraites : se mobilise-t-on aujourd’hui plus qu’il y a trente ans ?
Si on prend le cas de la France, dans les années 1970, on comptait environ 4 millions de jours de grève cumulés par an, contre à peine 500 000 dans les années 2010. Globalement les travailleurs sont nombreux à avoir des statuts précaires en raison de la sous-traitance, de la démultiplication des employeurs avec parfois des ouvriers sur une même chaîne de production qui ne sont pas payés par la même institution, et in fine un éclatement des grands collectifs de travail. Recourir au droit de grève est dès lors devenu plus risqué et plus difficile. Cette évolution est bien sûr renforcée par les incertitudes du marché de l’emploi. Mais, du coup, les mobilisations tendent à sortir de l’entreprise et à se dérouler dans la rue.
Les motifs pour lesquels on se mobilise ont-ils changé ? Pour le dire vite, est-on passé de la lutte des classes à #MeToo ?
Dès les années 1970, certains sociologues estimaient qu’on assistait à une disparition des revendications traditionnelles du monde ouvrier industriel au profit de nouveaux mouvements sociaux liés à des revendications plus qualitatives : style de vie, défense d’identités, etc. Aujourd’hui, des mouvements comme #MeToo ou Black Lives Matter aux États-Unis en sont des exemples. Pour autant, je pense qu’il faut être prudent avec la tentation d’une perpétuelle annonciation d’un « nouveau » mouvement social. Ne perdons pas de vue le socle, probablement majoritaire en nombre, d’événements protestataires et de gens qui descendent dans les rues pour des raisons qui touchent à leurs revenus et aux conditions matérielles. Sans nier un instant l’importance et la réalité de demandes « qualitatives » (identités, styles de vie, écologie), n’oublions pas que des révoltes algériennes de 2011 à Nuit debout ou aux manifestations de Khartoum en 2019, les revendications de démocratie ou de nouveaux droits sont souvent inséparables de situations de chômage massif ou de précarisation sociale affectant jusqu’aux plus diplômés.