La modernisation des entreprises publiques

Depuis les années 60, les entreprises publiques sont engagées dans un processus de réforme. L'organisation bureaucratique est-elle morte et enterrée ? Comment concilier rentabilité et justice sociale dans un contexte où le client exerce plus de pouvoir ?

« Moderniser, réorganiser, rénover ». Les discours réformateurs sur l'entreprise apparaissent dès les années 60 1 avec le rapport Bloch-Lainé (« Pour une doctrine de l'entreprise », 1963). Ils vont se développer à la faveur de la crise économique des années 1970-1980. Après l'attrait du modèle américain dans les années 1950-1960, c'est le modèle japonais qui retient l'attention des industriels français. Il faut fluidifier, flexibiliser l'outil de production et mobiliser les employés autour de ce projet 2. Les entreprises publiques sont-elles tenues à l'écart de ces volontés de réforme ? Certainement pas. Les rapports se succèdent aussi : en 1967, le rapport Nora requiert une autonomie de gestion pour les entreprises publiques sous forme de « contrat de programme », le rapport Barret-Kriegel en 1986, puis la circulaire Rocard de 1989 mettent l'accent sur la participation active des salariés du public au fonctionnement de leur organisation... Donc cette volonté réformatrice du public suit celle du privé et, surtout, succède à une période de forte critique de la « bureaucratie ».

Objectifs particuliers contre logique de l'organisation

En effet, en 1963 le sociologue Michel Crozier publie Le Phénomène bureaucratique (rééd. Seuil, 1971). En s'appuyant sur des enquêtes de terrain menées au sein de grandes entreprises publiques (la Seita, les Chèques postaux), il montre comment la bureaucratie génère de la rigidité, des « cercles vicieux » dont l'origine est simple : les agents ne s'identifient pas aux buts de l'organisation. Pis, ils cherchent avant tout à poursuivre leurs propres objectifs, ce qui a toutes les chances de venir percuter la logique de l'organisation, engendrant mauvais résultats, frustrations et nouvelles tensions. Pour l'auteur, on cassera les cercles vicieux en réformant les entreprises publiques. Autrement dit, l'organisation bureaucratique n'est plus le modèle d'efficacité décrit par Max Weber un demi-siècle plus tôt. Car chez le fameux sociologue allemand, la bureaucratie incarnait la modernité face aux organisations traditionnelles de type familial ou paternaliste. Pour s'émanciper des relations personnelles, du libre arbitre du patron, de l'évaluation à la « tête du client » (en l'occurrence de l'employé), il convenait, selon M. Weber, d'appliquer les principes de gestion bureaucratique : « Le recrutement, la répartition des responsabilités et la promotion se font en fonction de critères universels et objectifs : concours, diplômes, titres, ancienneté. Les postes, les fonctions et leurs relations matérialisées par un organigramme, et les obligations de chacun étant clairement définies, l'individu sait ce qu'il doit faire, échappant ainsi à l'anxiété qui accompagne une prise de décision3. » Dans ce cadre, les relations de travail deviendraient des relations fonctionnelles de sorte que les affects ne perturberaient pas le bon fonctionnement de l'organisation. Chez M. Weber, tout ceci s'inscrivait dans un mouvement plus large : la rationalisation de la société.

« Bougez avec La Poste »

La bureaucratie wébérienne va servir de référentiel des années durant : « En caricaturant à peine, on pourrait dire en effet que l'essentiel du programme de la théorie des organisations tel qu'il se déroula par la suite fut une vaste évolution autour de l'énigme du modèle bureaucratique4»... jusqu'à la rupture des années 60. Alors, la « débureaucratisation » va toucher au premier chef les entreprises publiques qui réalisent des activités marchandes, qu'elles soient industrielles ou servicielles. Et au terme de ce processus, il y aura les privatisations qui débutent en 1986 et qui, à ce jour, ne sont pas encore terminées. Quelques grandes entreprises restent encore dans le giron de l'Etat : EDF-GDF, la SNCF et La Poste. Dans le giron, pas tout à fait. Elles ont commencé à s'émanciper. Par exemple, en 1990, La poste est devenue La Poste. Détail typographique ? Pas seulement. Cette année-là, l'administration publique s'est mue en un établissement public avec un statut juridique (personne morale de droit public) lui octroyant beaucoup plus d'autonomie par rapport à son organisme tutélaire. Comme ses consoeurs, La Poste s'est engagée dans la voie de la « modernisation ».