Utopie ou le chemin vers l'impossible !

Véhicule d’émancipation, la pensée utopique permet d’entrevoir et d’anticiper un autre monde possible.

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La tradition identifie l’utopie à « l’illusion », « au rêve », « à la chimère ». Dès le 19e siècle, tout projet qualifié d’utopie désigne un futur irréalisable. Or le passé des expériences utopiques nous révèle une évolution des idéaux beaucoup plus complexe. Depuis sa naissance, en 1516, l’utopie dérange. Contemporaine de l’humanisme, elle projette un idéal de bonheur qui se heurte aux tensions du monde présent.

L’ambiguïté du mot fut voulue par son créateur, Thomas More (1478-1535), chancelier d’Henri VIII. Homme politique et humaniste, il cherche à échapper à la censure du temps en jouant sur la construction de la langue grecque (ou, préfixe privatif et topos, lieu). Sous sa plume, entre « lieu de nulle part » et « lieu d’aucun temps », l’idée se dérobe au sens univoque. Le conte dialogué déroute le lecteur, aiguise sa curiosité, l’oblige à découvrir, en toute liberté, la bonne définition et conduit secrètement le lecteur vers le « lieu de félicité où tout est bien ». Utopia devient fable ou art d’écrire.

Idéal, rêve, imagination, l’utopie, portée par différents auteurs, est avant tout l’idée d’un autre monde possible. Si la voie vers l’utopie est incertaine, la critique du présent, indirecte ou oblique, devient accessible aux lecteurs : croyances et institutions sont le plus souvent déstabilisées, avec plus ou moins d’audace, par les auteurs successifs. À la fois projection idéale et retour sur le passé lointain, l’utopie se dérobe à toute classification et échappe à l’assignation temporelle, en s’opposant à l’ordre existant.

Le principe espérance

Reconnue ensuite par la mise en intrigue d’un ailleurs, l’utopie se transforme peu à peu en un genre littéraire : La Nouvelle Atlantide (1627) de Francis Bacon (1560-1626) fait figure d’exemple. La fable philosophique est d’abord critique des savoirs de son temps. La science et le progrès scientifique y sont organisés sous la direction de sages. La Cité du Soleil (1602-1603) de Tommaso Campanella (1568-1639) est au contraire gouvernée par un monarque philosophe. Rédigée en prison, la cité messianique est une réponse aux tortures subies. Le texte, énoncé en public, présente une image parfaite de l’univers. Paradoxalement, ces deux modèles utopiques éclairent la fonction du « principe espérance » 1 qui entraîne le lecteur ou l’auditeur vers un dépassement des normes du temps.