La pensée morale à l'épreuve de la diversité

Les conflits moraux semblent inévitables. D'une culture à l'autre, au sein d'une même société, voire pour chaque individu, différents principes éthiques peuvent se contredire. Un casse-tête pour la philosophie morale ?

« Morale » fait partie de ces termes qu'on emploie en général au singulier. Et ce n'est guère un hasard. Parler de morales au pluriel devient vite embarrassant. S'il y en a plusieurs, laquelle choisir ? Se vaudraient-elles toutes ? Questions cruciales qui se posent au monde contemporain avec de plus en plus d'acuité. Outre la multiplication des échanges, l'essor des sciences humaines n'est pas étranger à cette prise de conscience. L'anthropologie et l'histoire, notamment, ont confronté l'homme des sociétés modernes occidentales à d'autres systèmes de valeurs. Le bien et le mal peuvent dès lors apparaître comme des constructions sociales (article p. 38) propres à chaque groupe.

Et nul besoin de considérer les cultures éloignées dans l'espace ou dans le temps. La diversité morale se niche au cœur même de notre société et des nombreuses sensibilités et appartenances qui la composent. D'où les conflits éthiques qui opposent régulièrement ses différents membres. Le catholique pratiquant qui reconnaît l'autorité du pape et est persuadé du caractère immoral de l'avortement ne peut qu'être en désaccord avec le militant qui défend l'interruption volontaire de grossesse au nom de la liberté des femmes. Et leur opposition est lisible d'un bout à l'autre de la justification morale à laquelle chacun recourt. Alors, la philosophie morale est-elle vaine ? Que peut-on espérer d'elle ?

On doit sans doute au penseur britannique Isaiah Berlin 1 d'avoir mis au premier plan l'idée d'un pluralisme moral, qu'on pourrait définir comme le refus de croire en l'existence d'un système unique de valeurs capable de fédérer tous les hommes de toutes les cultures. La version pluraliste que défend I. Berlin est assez radicale. Il fait le constat d'une diversité des valeurs, des normes et des justifications morales. Mais il va plus loin encore en soutenant qu'elles sont incommensurables. Autrement dit, il serait impossible de montrer la supériorité d'un système de valeurs en regard d'un autre.