En 1990, le chercheur argentin Fernando Nottebohm, spécialiste du chant des oiseaux, fit une découverte étonnante : chez les pinsons, de nouveaux neurones surgissent chaque printemps dans la région du cerveau consacrée au chant. Cette floraison neuronale printanière permet aux pinsons de composer chaque année un nouveau répertoire de chant. Cette découverte était d’autant plus surprenante qu’elle allait à l’encontre d’un dogme, bien ancré en neurologie, selon lequel les neurones sont les seules cellules du corps à ne pas se renouveler. Il était en effet admis depuis longtemps que la neurogenèse (création des neurones) s’arrêtait à la naissance chez les oiseaux comme chez les autres espèces animales, humains compris. Au début, les spécialistes furent donc incrédules devant cette découverte. On n’avait jamais rien observé de tel, et encore moins chez les humains. Pasko Rakic, l’une des sommités de la neurobiologie, refusa même d’admettre le fait. « Si l’on peut changer ses neurones à chaque printemps, cela veut dire que je peux me débarrasser de mon accent croate », lança-t-il par moquerie lors d’une conférence internationale. Le jugement était sans appel. On en restera là pendant plusieurs années.
À la fin des années 1990 pourtant, des expériences nouvelles, menées notamment par l’équipe d’Elizabeth Gould (université de Princeton), vont obliger la communauté scientifique à se rendre à l’évidence. De nouveaux neurones se forment bien après la naissance, notamment dans l’hippocampe. P. Rakic sera d’ailleurs amené à reconnaître le fait. Il n’avait pas tout à fait tort non plus car cette création a lieu dans les régions profondes du cerveau et non dans le cortex cérébral qu’il avait étudié toute sa vie. Mais s’il fallait admettre que de nouveaux neurones pouvaient pousser au cours de la vie, cela signifiait une certaine « plasticité cérébrale », c’est-à-dire une capacité à évoluer.
Reprogrammer le cerveau ?
Parallèlement à ces recherches sur la neurogenèse, un autre visage de la plasticité va susciter l’intérêt des chercheurs. L’imagerie cérébrale avait montré que chez les violonistes, la zone corticale responsable de la motricité des doigts de la main gauche tient une place plus importante que chez d’autres sujets. Cela signifierait donc que si une activité est pratiquée de façon intensive, les zones cérébrales qui en sont responsables augmentent leur surface d’action, exactement comme les muscles prennent du volume lorsqu’on les entraîne régulièrement. L’extension des zones responsables du toucher sera observée également chez les aveugles qui lisent en braille. Grâce aux travaux de Vilayanur S. Ramachadran sur les membres amputés, on en apprendra un peu plus sur une autre facette de la plasticité cérébrale (1). Chez une personne dont le bras a été amputé, les zones cérébrales qui traitaient l’information en provenance du bras tendent à être envahies par les neurones des zones voisines. Ainsi, si l’on caresse la joue d’une personne amputée d’un bras, il ressent tout à coup une bizarre impression : celle qu’on lui caresse son bras manquant. En fait, les neurones responsables de la sensibilité de la joue ont envahi le territoire cérébral devenu inactif.
La plasticité cérébrale a aussi été observée au niveau des synapses, points de connexions entre neurones. Dès les années 1950, le célèbre neuropsychologue Donald Hebb avait montré que l’apprentissage chez le rat se traduit par un renforcement des liaisons synaptiques. Un apprentissage nouveau se traduit au niveau synaptique par le renforcement des liens entre neurones. Plus un circuit est utilisé, plus il se renforce. Inversement, moins un réseau synaptique est sollicité, plus il se rétracte. Les expériences de D. Hebb ont montré qu’en élevant des rats dans un environnement « enrichi », où ils peuvent se mouvoir et faire des exercices, le poids de leur cerveau augmente significativement par rapport à celui de rats enfermés dans une cage sans stimulations.
, , Odile Jacob, 2002. , « Speaking without Broca’s area after tumor resection », , vol. XV, n° 4, août 2009. C’était les études sur les troubles générés par les lésions qui avaient jusque-là démontré la localisation des fonctions cérébrales. , , Odile Jacob, 2007. , , De Boeck, 2007. , Ce constat est renforcé par les études neuropsychologiques qui montrent, depuis plus d’un siècle, que les lésions cérébrales similaires conduisent aux mêmes troubles de la lecture.