Michael Harner (1929-2018), initiateur et figure charismatique de la Foundation for Shamanic Studies (FSS), a d’abord été témoin et acteur de la contre-culture américaine. En 1963, il obtient un doctorat en anthropologie à l’université de Berkeley. Bientôt il se fait connaître comme l’anthropologue spécialiste des Jivaros d’Équateur (1) 1. Nommé professeur d’université à la New School for Social Research à New York, jusqu’en 1987, il doit sa notoriété moins à ses études amazoniennes qu’à sa théorie d’un « chamanisme universel » dénommé core-shamanism, ensemble de principes qu’il a diffusé à travers la FSS.
Son exploration de la culture Jivaro, entreprise en 1956 et 1957, ne donnait pas une importance particulière à la spiritualité ni à l’usage de la fameuse boisson hallucinogène ayahuasca (the wine of the dead) consommée par les Jivaros pour induire les « visions ». Pendant ce premier séjour, il avait évité de consommer lui-même l’ayahuasca que lui proposaient les chamanes. Mais peu à peu, comme ses collègues de l’époque, Robert Gordon Wasson, Carlos Castañeda et Timothy Leary, il en vint à expérimenter les substances hallucinogènes et devient un des experts de leur usage.
En 1972, il publie The Jivaros. People of the sacred waterfall 2 avec l’intention de fournir une introduction générale à la culture des Jivaros. C’est peu après que M. Harner commence à s’écarter de la démarche strictement universitaire pour proposer une généralisation de la transe chamanique, pratiquée par les Jivaros, et sa mise en pratique contemporaine. Il n’est pas impossible qu’il ait subi l’influence de Mircea Eliade (dont le livre Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, traduit en anglais en 1964, connaît alors un grand engouement) ainsi que celle de son collègue et ami C. Castañeda dont la série d’ouvrages, sur les enseignements du chaman mexicain Don Juan à partir de 1968, connaît un impressionnant succès.
La Foundation for Shamanic Studies
Dans les années 1970, M. Harner organise des ateliers ou workshops qui suscitent rapidement un intérêt considérable. Il met également en place des « human potential groups », des séminaires de développement personnel (intégrés dans des centres du mouvement New Age comme que The Esalen Institute). En 1979, M. Harner fonde le Center for Shamanic Studies, installé dans le Connecticut. Le but est d’enseigner le chamanisme aux Occidentaux. Ce centre, devenu en 1985 la Foundation for Shamanic Studies, s’installe alors à Mill Valley en Californie, haut lieu des nouvelles spiritualités. La FSS est l’institution la plus connue et structurée qui s’occupe de diffuser le core-shamanism au moyen de cours, de séminaires, de revues et de formations : c’est l’organe majeur de diffusion de pratiques néochamaniques. Des milliers de personnes participent chaque année aux formations proposées par la FSS. À partir de ce foyer, beaucoup d’élèves vont fonder de nouveaux centres de soins et écoles similaires, publier des livres et donner des conférences sur le chamanisme harnerien tout en les complétant avec leurs propres méthodes et conceptions. La référence à M. Harner est une référence incontournable car ses enseignements et ses méthodes, diffusés à travers son école, sont les plus répandus et les plus influents. En même temps, l’héritage de M. Harner est une forme de légitimation qui permet aux praticiennes (pour l’essentiel ce sont des femmes) d’obtenir une crédibilité face au groupe de participants. La FSS a deux objectifs principaux : le premier est de diffuser et de promouvoir en Occident les techniques du core-shamanism, le second est d’offrir un support aux chamanes traditionnels dans leur travail de sauvegarde du chamanisme vernaculaire dont ils sont les principaux détenteurs. À travers son projet « Preservation and Revival of Indigenous Shamanism », la FSS met en acte une stratégie communicative qui vise à patrimonialiser le chamanisme en tant que pratique étroitement liée à chaque culture et en même temps vise à donner une lecture du chamanisme en tant que patrimoine commun à tous les peuples.