La revanche du picard

Longtemps marginalisé, le picard est désormais reconnu comme une langue régionale à part entière par l’Éducation nationale. Une réhabilitation qui doit autant aux chercheurs qu’aux militants. Mais il reste beaucoup à faire pour sauver cette langue en voie de disparition.

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Le 16 décembre 2021, le picard a été ajouté in extremis à la liste des langues vivantes régionales reconnues par le ministère de l’Éducation nationale. Une victoire pour les élus locaux, montés au créneau après avoir constaté son absence dans la première version du texte. Désormais, le picard peut être enseigné pendant le temps scolaire, au même titre que le basque, le breton, le corse ou le catalan. Des sections bilingues devraient même ouvrir au collège et au lycée. Une révolution !

Pratiqué depuis le Moyen Âge, du sud de Bruxelles au nord de Paris, le picard a longtemps été considéré comme une forme dégradée du français. Le linguiste Jean-Michel Eloy, professeur émérite à l’université de Picardie Jules-Verne (UPJV), parle de « langue collatérale » 1. « J'ai avancé ce concept pour désigner une langue à moitié reconnue ou reconnue avec hésitation, parce qu'elle est proche de la langue dominante, explique-t-il. Le picard partage cette situation avec de nombreuses langues, des dialectes italiens au parler local de l'Irlande du Nord. » Le chercheur établit aussi un parallèle entre le picard et l’ukrainien, parfois assimilé à un « patois du russe ».

Parlé par les paysans, les ouvriers et les mineurs, le picard a souffert du mépris social. Il a aussi été victime de la décision de Jules Ferry de bannir les langues régionales à l’école au profit du français. Il reste de cette époque une forme de honte, qui se traduit par une retenue au moment de s’exprimer devant des inconnus. Beaucoup en font un sujet de plaisanterie, en glissant çà et là, comme dans le film de Dany Boon, des mots de « ch’timi » 2. « Le picard est la langue de la proximité, pratiquée entre copains, entre voisins ou en famille », remarque J.M. Eloy.