Tout au long du XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, les psychiatres ont tenté de mettre au point des traitements empiriques efficaces pour soigner les malades mentaux. Leur objectif avoué était de créer une « psychiatrie qui guérisse ».
Les neuroleptiques : hasard et intuition
L’histoire de la psychiatrie biologique dans la première moitié du XXe siècle s’apparente à la recherche désespérée non seulement de traitements efficaces pour soigner les malades mentaux, mais aussi et surtout à une quête effrénée d’une thérapie susceptible de calmer les malades en état d’agitation psychomotrice. La découverte de la chlorpromazine (Largactil) et de l’halopéridol (Haldol), les premiers neuroleptiques, constitua, dans les années 1950, le point d’orgue d’une longue et tâtonnante recherche visant à donner au médecin des thérapeutiques susceptibles de calmer les malades agités et d’agir sur les symptômes psychotiques. Ce double pouvoir des nouvelles molécules transforma radicalement la psychiatrie en facilitant le contact avec le malade et donc la possibilité de réaliser des psychothérapies. L’approche psychothérapeutique est ainsi devenue le complément nécessaire d’une prise en charge psychopharmacologique du patient. L’apparition de ces médicaments constitua bien une révolution thérapeutique, ainsi que le notèrent de nombreux psychiatres et historiens de la psychiatrie 1.
L’arrivée des nouveaux médicaments psychotropes ne fut pas la conséquence d’une connaissance accrue des bases biologiques des maladies mentales. L’empirisme était omniprésent et la découverte des psychotropes dut beaucoup au hasard et à l’intuition d’expérimentateurs cliniciens ou pharmacologues, qui encouragèrent des psychiatres à tester les nouvelles molécules sur les malades. Les anglophones introduisirent le joli terme de serendipity (sérendipité) pour qualifier ce mélange subtil de hasard et de sagacité qui conduisit à la mise au point des médicaments de l’esprit. La découverte de la chlorpromazine, le premier neuroleptique, en constitue une belle illustration. C’est en effectuant des recherches sur l’anesthésie préopératoire que le médecin français Henri Laborit nota que la chlorpromazine provoquait un « désintérêt du malade pour ce qui se passe autour de lui », ce qui l’incita à encourager des psychiatres à utiliser le produit sur des malades mentaux. C’est l’équipe de Jean Delay et de Pierre Deniker qui précisèrent les effets du Largactil en effectuant des essais cliniques sur des malades mentaux à l’hôpital Sainte-Anne de Paris. Le hasard joua aussi un rôle central dans la synthèse de l’halopéridol (Haldol), qui allait devenir pendant plusieurs décennies le neuroleptique le plus utilisé dans les services de psychiatrie (encadré ci-dessous).