Les salons de l’Ancien Régime ont longtemps incarné un certain raffinement aristocratique. Lorsqu’on a commencé à en écrire l’histoire, sous la Restauration, on était tout particulièrement nostalgique de cet art de vivre disparu avec la Révolution. Il s’est dès lors construit un imaginaire de la vie mondaine, fait de conversations entre gens du monde et gens de lettres, dans lequel les femmes occupaient une place centrale.
Parfois idéalisé comme un espace de réflexion intellectuelle, le salon a aussi été associé, tout au contraire, à l’oisiveté ruineuse et libertine d’une noblesse se précipitant vers son déclin. On en a longtemps perpétué la mémoire dans des galeries de portraits mettant à l’honneur leurs hôtesses en rapportant les noms des convives qui les fréquentaient, des anecdotes et certains bons mots ayant marqué les esprits.
Plus récemment, ces rencontres furent perçues comme particulièrement propices à la participation des femmes à la vie littéraire et philosophique. Puissant lieu de mémoire, le salon a été diversement investi de perspectives plus ou moins idéologiques qui en ont fait tantôt le germe de l’espace public, tantôt un symbole de conservatisme, tantôt un tremplin féminin. Mais qu’en était-il pour ses contemporains ?
Le vocabulaire des rencontres
Le mot « salon » ne signifiait rien de plus, avant la fin du 18e siècle, que la pièce la plus grande et la plus ornée d’un appartement. Ce n’est qu’au 19e siècle que le terme désignera un espace domestique où l’on se retrouvait pour causer et, par extension, celles et ceux qui s’y réunissaient. Avant la Révolution, on parlait plutôt de la « société » ou de la « compagnie » pour évoquer les rencontres qui se tenaient sur une base régulière dans telle ou telle « maison », où se rassemblaient habitués et visiteurs y ayant été conviés ou introduits par ces derniers. Dans le cas des réceptions hebdomadaires, la mention du jour et du lieu servait généralement de repère : d’aucuns prenaient part aux dimanches de la rue Royale, chez le baron et la baronne d’Holbach ; aux mercredis du couvent de Saint-Joseph, où la marquise du Deffand avait ses appartements ; aux vendredis du financier Jacques Necker qui recevait, rue de Cléry, avec son épouse. La célèbre Mme Geoffrin organisait, pour sa part, des dîners pour les artistes le lundi et pour les gens de lettres le mercredi, réservant le moment du petit souper pour ses autres invités.