Faire preuve d’altruisme
Être généreux rend plus heureux – démonstration à l’appui. En 2017, une équipe internationale de neurobiologistes, conduite par Soyoung Park et Philippe Tobler, a publié dans la revue Nature les résultats d’une étude qui perce le mystère de l’altruisme. Comment expliquer que le don ou le bénévolat soient des pratiques si courantes, alors même qu’elles sont coûteuses pour leurs auteurs ? « La théorie économique standard ne parvient pas à expliquer les comportements généreux, rappellent les scientifiques. Les recherches menées dans le domaine de la psychologie suggèrent qu’un des motifs possibles d’un comportement généreux est l’augmentation du bonheur à laquelle il est associé. » En 2008, deux études en psychologie rassemblées dans la revue Science pointaient déjà l’existence d’une telle corrélation : « Dépenser de l’argent pour d’autres personnes peut avoir un impact plus positif sur le bonheur que de dépenser de l’argent pour soi-même, avançaient les chercheurs. Consacrer une plus grande partie de son revenu à d’autres personnes permet de prédire un plus grand bonheur. » Quelques années plus tard, d’autres travaux de recherche affirment cette fois l’universalité de ce phénomène qui traverse toutes les cultures. « Les êtres humains du monde entier tirent des avantages émotionnels de l’utilisation de leurs ressources financières pour aider les autres », soulignent les auteurs d’une étude publiée dans la revue Journal of Personality and Social Psychology en 2014.
Restait à expliquer les mécanismes neuronaux à l’œuvre. C’est chose faite grâce à S. Park et P. Tobler qui ont mis en place un protocole expérimental répartissant 50 participants entre deux groupes. Tous recevaient 25 francs suisses chaque semaine pendant un mois. Aux uns, on demandait de dépenser l’argent pour d’autres personnes de leur choix, qu’ils pouvaient par exemple inviter à dîner. Aux autres, de le dépenser pour eux-mêmes. Résultat, les premiers se disent plus heureux à l’issue de l’expérience. Confrontés à une tâche fictive où ils pouvaient décider d’être plus ou moins généreux, les images fonctionnelles de leur cerveau montrent aussi davantage de connexions entre régions activées par la générosité et celles liées au bonheur. Il y aurait donc bel et bien un lien neuronal entre altruisme et bonheur.
• « Spending money on others promotes happiness »
Elizabeth Dunn et al., Science, 21 mars 2008.
• « Prosocial spending and well-being : cross-cultural evidence for a psychological universal »
Lara Aknin et al., Journal of Personality and Social Psychology, vol. CIV, n° 4, avril 2013.
• « A neural link between generosity and happiness »
Soyoung Park et al., Nature Communications, juillet 2017.
Savourer et partager de bons repas
Cuisine familiale ou haute gastronomie, qu’importe. Les Français aiment les plaisirs de la table et plébiscitent la fréquentation des restaurants. C’est d’ailleurs l’activité dont ils avaient le plus envie après les confinements liés à la pandémie de covid-19, d’après Sheela Delestre, chercheuse chez Statista, un portail de statistiques. L’attrait de ce rituel tient bien sûr aux émotions gustatives qu’il procure. On sait d’ailleurs, grâce aux neurosciences, que les aliments gras et sucrés libèrent de la dopamine, stimulant ainsi les zones du cerveau impliquées dans le plaisir et la récompense.
Mais le plaisir d’un repas tient aussi à des raisons culturelles. Il existe ainsi un rapport à la nourriture plus hédoniste dans une France de tradition catholique que dans les pays anglo-saxons influencés par un puritanisme protestant, si on en croit l’historien Pascal Ory, auteur de l’ouvrage L’identité passe à table. La table est aussi un lieu propice à la « commensalité » qui désigne l’acte de manger ensemble, très prisé en France où 80 % des repas sont pris avec d’autres convives, selon le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). L’occasion de partager un moment de convivialité qui permet de resserrer ses liens familiaux, amicaux ou professionnels. Bref, rien de tel qu’une bonne table pour se remonter le moral.
• L’identité passe à table. L’avenir gastronomique de l’humanité en général et de la France en particulier
Pascal Ory, PuF, 2013.
• Manger. Français, Européens et Américains face à l’alimentation
Claude Fischler et Estelle Masson, Odile Jacob, 2008.
« Quand j’arrive, tous les résidents applaudissent. »
Pierre-Yves Rommelaere
Il a choisi de devenir cuisinier dans un Ehpad, après avoir travaillé dans un restaurant gastronomique.
«Le déclic de la tarte aux pommes. » Pierre-Yves Rommelaere garde un souvenir ému de ce moment qu’il a vécu auprès des résidents d’un foyer d’accueil médicalisé. Passé de la restauration commerciale à la cuisine gastronomique, ce cuisinier aguerri exerce depuis quelques années en CDI au sein de l’établissement situé dans un village de l’Aude. Un poste qu’il a choisi d’accepter pour les congés payés et les week-ends en famille, non sans nostalgie. Son quotidien, ce sont les sachets de légumes surgelés et les mets industriels. « Un dimanche midi, une tarte aux pommes emballée devait être servie. Mais ce jour-là, je me dis que ce n’est quand même pas si compliqué à faire soi-même, c’est la première recette qu’on apprend à cuisiner en CAP. Il faut du beurre, de la farine, du sucre et des pommes. » Il pétrit la pâte, taille les fruits, enfourne le tout, prépare cinquante assiettes, pousse le chariot dans la salle et repart. « L’animatrice vient me voir pour me dire qu’il se passe quelque chose. Quand j’arrive, tous les résidents applaudissent, je les vois tellement heureux ce jour-là que j’en suis sorti remué », confie P.Y. Rommelaere.
Soufflé par le plaisir des personnes âgées, il se retrousse les manches. Pourquoi recevoir les œufs en bouteille ou en tube quand il suffit de briser une coquille ? Et s’il achetait sa viande à des producteurs locaux plutôt que de servir des morceaux sans saveur ? Petit à petit, il renoue avec un savoir-faire appris à l’école hôtelière et affûté dans l’une des trois meilleures tables de Toulouse, un restaurant semi-gastronomique à deux pas de la basilique Saint-Sernin. Foie gras au torchon, canard entier, pâtisseries aux amandes…
En dépit de toute la fierté que lui inspirent ces superbes assiettes, il est alors un peu frustré : « Quand on travaille dans de grandes brigades, c’est le chef qui va en salle. Dans les cuisines, je travaillais de beaux produits, mais je ne partageais rien avec les clients fortunés. Le rapport aux personnes qu’on nourrit, on le perd un peu… » Or, c’est ce qui le fait vibrer. Enfant, il passait déjà du temps aux fourneaux pour régaler sa famille. « Je prenais en main le repas du soir, je dressais une belle table avec une nappe, et à la fin nous partagions le repas. Ce moment de plaisir était ma récompense », se souvient-il. Aujourd’hui chef de restauration dans un collège, il lève les réticences des adolescents en leur servant des sushis de fruits en dessert ou des tartines de houmous saupoudrées de graines, à manger à la main comme une pizza. De quoi égayer leurs jeunes papilles.